André de Lorde s'est assuré la collaboration de deux personnages, dont Alfred Binet (qui n'est pas le premier venu en matière de psychiatrie en ce début de XXe siècle) pour écrire cette nouvelle histoire de fou.


C'est l'histoire d'un homme enfermé dans ses propres pulsions de meurtre à l'encontre de son propre fils (un enfant). Il se confie à un psychiatre renommé en lui faisant croire qu'il expose le cas de quelqu'un d'autre (son beau-frère), mais, en réalité, c'est de lui qu'il s'agit. Le public commence à le deviner lors de certaines réactions émotionnelles du personnage en présence de ce que dit le psychiatre.


On est à l'époque où on enferme les fous sans leur demander leur avis (internement d'office dès lors qu'ils sont jugés dangereux). La dimension humaine de cette tragédie est que le consultant n'est pas un bête brute uniquement asservie à ses pulsions de meurtre : il se rend bien compte de son état (sans cela, il ne viendrait pas consulter un psychiatre), mais il a tellement peur et tellement honte qu'il tente de faire croire qu'il s'agit de quelqu'un d'autre.


Mauvaise idée : s'il s'était agi de lui, le psychiatre l'aurait fait interner d'office, vu le danger qu'il présentait; mais, croyant qu'il s'agit du beau-frère, le psychiatre ne peut prendre la décision de faire enfermer un patient qu'il n'a même pas vu. D'où la fin brutale, atroce et Grand-Guignolesque de cette pièce.


Les "deux forces" dont parle le titre, ce sont la folie d'une part, et la volonté du patient d'autre part, qui croit pouvoir vaincre ses pulsions par un effort sur lui-même. Et c'est là qu'Alfred Binet, co-auteur, semble mettre en scène une critique acide des pratiques psychiatriques de l'époque. On est à l'époque positiviste-naturaliste-matérialiste, style Zola, où l'on est persuadé que l'hérédité (ici, de la folie) est inéluctable, irrépressible, et incurable. Quand le consultant apprend ceci (en deux étapes successives), il se laisse convaincre qu'il n'échappera pas à la folie, et cela suffit à vaincre sa volonté de résistance.


Binet critique donc à la fois ce dogme de la toute-puissance de l'hérédité, et aussi l'autorité morale du psychiatre sur le patient, que rien ne peut relativiser : en ce temps de science toute-puissante, supposer que le savant puisse se tromper n'est même pas imaginable ! La critique est d'autant plus évidente que, dans la scène première, on voit le psychiatre très soucieux de se faire de la publicité (il soigne un prince) auprès des journaux, et, plus loin, on souligne qu'il encaisse volontiers l'argent des patients.


Le deuxième tableau montre une charmante vie de famille, avec deux enfants: les réflexes maternels de la Maman, tendre et protectrice, sont bien campés, et cette gentillesse prépare le choc de terreur brutal qui conclut la pièce à la dernière réplique.


Enfermement dans une obsession incontrôlable, fatalité de l'irrationnel et de la démence, contraste hyper-violent entre deux atmosphères, analyse d'un cas de folie : on reconnaît bien à ces caractères les procédés de prédilection d'André de Lorde. Pas une réplique de trop, une montée savamment calculée des informations nécessaires à développer la terreur chez le spectateur.

khorsabad
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le 28 avr. 2016

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