Le dernier roman de Jean-Michel Olivier nous entraine dans les pas de Roman Dragomir, un aventurier qui ne vécut que pour la littérature, les femmes et le football. Ce personnage fictif et son histoire sont en fait librement inspirés de Vladimir Dimitrijevic, le très sulfureux fondateur de la maison d’édition L’Âge d’Homme, « une maison ouverte au vent et à la guerre ». L’éditeur, qui sillonna l’Europe en camionnette des années pour transporter des livres et qui connut plusieurs accidents, ne survécut pas au dernier, un beau jour de 2011. « La route, disait ce franchisseur de frontières, connaît la langue de ma moelle épinière. » Etendu dans son cercueil, il décrit les gens qu’il voit se pencher sur son corps au moment du dernier hommage, fantômes du passé qui prennent tour à tour la parole pour tisser, entre eux tous, un patchwork de ce que fut la vie de Dragomir.
Né à Belgrade, ayant eu à subir tour à tour l’occupation allemande, la domination oustachie et le carcan du titisme, le jeune Roman part en exil, vendant des livres au marché noir, fuyant la police à Trieste, gagnant sa vie comme serveur ou cordonnier en Suisse avant de trouver sa voie, celle de l’édition. Son rêve ? « Publier, en français, tous les livres qu’on a mis au pilori et faire entendre la voix des exilés. » Pour cela, il est prêt à prendre tous les risques : franchir le mur de Berlin par un souterrain pour aller chercher un manuscrit en Pologne, se faire remettre en plein Moscou des textes de Zinoviev sous forme de microfilms cachés dans des biscuits, frayer avec les mafias balkaniques et dormir à la belle étoile au bord des routes d’une ex-Yougoslavie malade de ses guerres passées.
Bousculant quelque peu les limites entre biographie et fiction, l’auteur, dans ce roman hanté par le spectre récurrent de l’autodafé, nous présente un Dragomir batailleur et jouant facilement du couteau, montant sur les barricades de Mai 68 pour crier « Vive le Roi ! », cachant chez lui des footballeurs hongrois en fuite mais soupçonné par la police d’être un agitateur communiste, éditant à un rythme effréné, criblé de dettes et mis au ban du milieu littéraire suisse – cette « terre protestante, une terre ingrate où le pardon n’existe pas » – à cause de son soutien à la Serbie durant la guerre, mais se vouant corps et âme à sa mission de passeur. A tel point que son plus proche collaborateur (un ancien terroriste anarchiste) pourra lui dire : « Tu n’as pas trahi les légendes de ton enfance. »