Herta Muller a reçu sle prix Nobel en 2009. Issue d’une minorité germanophone de Roumanie, elle a du émigrer en Allemagne en 1987 pour fuir la dictature. Son œuvre est assez peu connue en France et traite de la dictature roumaine, des milieux populaires de son pays d’origine et des humiliations subies sous le régime de Nicolae Ceausescu. Elle cherche à rendre compte des privations et vexations quotidiennes vécues par les populations.
Dans La convocation, la narratrice se rend en tramway au bureau de la Sécuritate pour y subir un nouvel entretient. Tout au long du trajet elle repense à divers moment de sa vie, chercher des manières de lutter contre l’humiliation et la peur que va provoquer cet entretient. Elle tente aussi de ne pas céder à la folie et ses pensées vagabondent de souvenirs et rêves éveillés.
Le roman fonctionne par aller-retour successifs dans le temps. Comme au fil de la pensée les idées se mêlent et les histoires s’enchaînent pas association d’idée. C’est parfois troublant et on se perd un peu. Au travers de ces récits mélangés, l’auteur nous fait prendre conscience du climat d’oppression et de suspicion constante propre aux régimes totalitaire. Ces fragments de vie mis bout à bout donnent à voir le quotidien des roumains de l’époque et, plus largement, des populations vivant en dictature. La structure narrative complexe du roman est un écho à la folie qui semblent guetter la narratrice, un folie vécue comme un échappatoire aux humiliations quotidiennes.
Le style de Herta Muller est épuré et poétique. (J’ai toujours du mal à parler de style quand il s’agit de romans étrangers mais je me dis qu’il faut faire confiance aux traducteurs pour nous le rendre le mieux possible). Elle offre des portraits de personnages extrêmement vivants. En quelque mots, elle réussit à nous rendre compte d’un visage ou d’un caractère. Le récit est parsemé d’images et de figures de styles très belles.
Le roman est centré sur les personnages. La narratrice nous raconte son histoire à partir de ces rencontres. L’environnement y est très peu décrit. Les quelques arbres où bâtiments que la narratrice évoque prennent alors plus d’ampleur et de sens. Ces portraits de personnages sont autant d’exemples de vie sous la dictature. On voit les rancunes, les inquiétudes et les blessures que le régimes laisse sur les gens. Le sexe et l’ivresse, vécus parfois de manière excessive, deviennent des échappatoires et des façons de tromper le réel.
La narratrice évoque régulièrement son amie Lilli, décédée récemment. Toutes deux sont des femmes libres de leur choix et qui, malgré le joug de la dictature, assument ce qu’elles sont. Les hommes, le sexe ou leurs choix vestimentaires ne sont dictés que par leur volonté propre. Elles affirment leur indépendance dans un pays liberticide. Mais cela a des conséquences. Lilli le paye de sa vie et la narratrice est contrainte de subir des interrogatoires très régulièrement. Rêvant d’une vie hors des frontières, elles tentent chacune à leur façon de s’échapper physiquement ou métaphoriquement.
C’est un texte très beau qui traite de façon âpre de la vie quotidienne sous la dictature. C’est la violence cachée, faite d’angoisses et d’humiliations quotidiennes, qui est montrée. Malgré la forme narrative déroutante et parfois, disons le, complexe à appréhender, c’est un roman très beau. Une lecture profonde et engagée.