2.5/10


Tout d'abord, commençons par l'un des points forts de ce livre. Il décrit bien le fonctionnement des thèses complotistes et en démontre bien en quoi elles sont de l'ordre de la croyance. Si vous cherchez à vous détacher par exemple des thèses complotistes autour du 11 septembre, les arguments mobilisés sont très convaincants. Hélas, j'ai peur qu'il ne prêche que des convaincus car la dimension très moraliste du livre me semble contre-productive, mais ce point fort a tout ma sympathie.


En décrivant à quel point la démocratie est selon l'auteur selon le modèle de la crédulité, le livre s'attarde d'ailleurs trop sur l'aspect psychologique, aux erreurs de raisonnements, aux enjeux idéologiques, aux illusions mentales qui s'avèrent problématiques car cela représente un biais déformant car même si l'auteur s'en défend à la fin du livre, on en tire souvent l'idée que tous ses problèmes découlent d'un manque d'intelligence ou de rationalité des foules pour expliquer la dominance de la croyance dans notre société. On peut penser par exemple au mise en garde de Durkheim contre cette interprétation psychologique prônant l'idée qu'on ne peut expliquer le social par le social :



"car si les phénomènes sociaux pénètrent l’individu de l’extérieur, il y a tout un domaine de la conscience individuelle qui dépend en partie de causes sociales dont la psychologie ne peut faire abstraction sans devenir inintelligible » (Durkheim, 1975, note 5, p. 35)(Cité par Bernard Lahire(1).)



L'auteur fait aussi des raccourcis notamment dans l'introduction où il critique le pessimiste des populations à la question "Grâce à la science et à la technologie, les générations vivront-elles mieux que celles d'aujourd'hui ? (page 8-9)" où une forte proportion d'entre eux ont répondu négativement. L'auteur rappelle les avancées par rapport au passé soulignant une ingratitude des foules liée à une méfiance généralisée envers la société. A mon sens, il est difficile d’interpréter ces résultats comme le reflet d'une méfiance des populations. Cette interprétation est trop rapide car la crainte par rapport au futur peut découler d'une pluralité de causes bien diverses.


Le livre présente en revanche des résultats plus intéressants notamment sur les biais cognitifs avec une méthode plus rigoureuse, même si le livre aurait à mon avis gagné à décrire davantage la société informative actuelle plutôt que d'axer sa réflexion sur les illusions mentales. La fin du livre est peut-être la partie la plus intéressante, mais l'auteur a trop recours à la caricature pour évoquer les travaux de certains chercheurs (notamment Bourdieu). Sa réflexion notamment que le fond du problème n'est pas l'éducation contrairement à toute une tradition allant des présocratiques, de Montaigne, de Fontenelle a le mérite de l'originalité, mais elle ne m'a pas convaincu plus que cela.


Pour appuyer cette idée, l'auteur souligne notamment que des études montrent que les gens très cultivés sont eux aussi victimes des illusions mentales et des croyances (Mittérand était par exemple très friand d'astrologie), mais selon moi se pose le problème de ce qui définit ces fameux individus "éduqués". Nous ne savons pas le contenu de leur éducation ou du moins l'auteur ne s'y attarde pas vraiment quand il s'appuie sur des études. Ne pas savoir la source de cette éducation me semble problématique car l'éducation pour reprendre Durkheim est un fait social (2). Il ne suffit pas de l'associer à un individu pour en tirer une donnée sur la nature humaine immuable. Il faut l'étudier comme quelque chose d'extérieur. C'est une construction sociale et historique. La prise en compte des crédulités liées à l'information est encore loin d'avoir une longue histoire en terme d'enseignement. Rien qu'en France, l’Éducation aux Médias et à l'Information qui enseigne aux collégiens et aux lycéens les problématiques par exemple des Fakes News est encore tout récent. Être éduqué a tout sorte de sens, on peut très bien l'être sans avoir été formé aux biais cognitifs et à l'information en général. Que les gens éduqués peuvent adhérer à des thèses complotistes ne signifie pas forcément que le fond du problème n'est pas l'éducation selon moi car encore faut-il savoir si ces gens "éduqués" ont été formés aux problématiques liées à l'information et aux médias en général, ce qui n'est pas nécessairement le cas.


(1) Bibliographie : LAHIRE, Bernard. Sociologie, psychologie et sociologie psychologique. Hermès. 2005. N° 41, pp. 151. DOI 10.4267/2042/8966.
(2) JANKÉLÉVITCH, Sophie. Nature et éducation chez Durkheim. Le Télémaque. 2003. Vol. n ° 24, n° 2, pp. 155. DOI 10.3917/tele.024.0155.

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le 11 nov. 2019

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