Déjà, je me dois de remercier SensCritique, et plus particulièrement certains de mes éclaireurs, de m'avoir peu à peu redonné une vraie envie le lire, enchainant maintenant depuis début 2015 un nouveau roman à chaque fini, ce qui n'avait jamais été le cas jusque-là. Certains livres m'ont vraiment marqué dans ma jeunesse et ça a été le cas de Germinal, découvert au collège et que je considère aujourd'hui comme le meilleur et plus puissant roman que j'ai eu l'occasion de lire. Et donc, depuis cette reprise soudaine de lecture, j'ai eu envie de vraiment approfondir l'oeuvre de Zola, ce qui passe par, je l'espère, une passionnante plongée dans la France d'après la Révolution, notamment le Second Empire, avec la famille Rougon-Macquart.
À travers cette longue fresque de vingt romans, Zola dépeint cinq générations, débutant son arbre généalogique par Adélaïde Fouque, fille d'un riche maraîcher mais atteinte d'une légère folie, qui va avoir trois fils, un premier (Pierre) avec Rougon, son garçon jardinier, puis deux autres (Antoine et Ursule) avec Macquart, un contrebandier paresseux et alcoolique. C'est à partir d'eux qu'il va tisser les liens de cette grande famille durant de longues années alors que la France connaît d'importants bouleversements politiques suite à la Révolution Française et les différents systèmes qui verront le jour, notamment une seconde république qui aura du mal à s'affirmer. Zola, qui avait déjà en tête l'arbre généalogique avant d'écrire les romans, en présente une bonne partie dans La Fortune des Rougon, que ce soit les prémices avec Adélaïque Fouque ou la "séparation" avec d'un côté les Rougon, attiré par le pouvoir et surtout l'argent, et de l'autre les Macquart, plus pauvres, moins élevés socialement et marqué par un Antoine violent et alcoolique.
Ici Zola nous emmène surtout à Plassans, ville fictive inspirée d'Aix-en-Provence, base de cette famille, qui verra la lutte qui donnera naissance au Second Empire l'approcher de près, et enfin là où tout a commencé et a vécu Adélaïque Fouque. Il commence sa longue saga en 1851 par le prisme d'un jeune couple qui va être marqué par les mouvements politiques alors en cours avant d'évoquer les origines et les liens des Rougon-Macquart. Il va surtout s'intéresser à la seconde génération, celle des enfants d'Adélaïque, leurs éducations, caractéristiques, ambitions et la séparation entre Rougon et Macquart, alors que l'un va être soldat tandis que l'autre va tout faire pour profiter des bouleversements politiques. Ce premier roman permet de bien comprendre les liens entre les deux familles et, de la folie d'Adélaïque à l'alcoolisme des uns en passant par l'avidité des autres, Zola étudie minutieusement leurs caractères et comportements.
Et c'est là l'une des principales réussites de cette oeuvre, l'étude des moeurs et humaines que fait Zola, dans un ton résolument sombre où seul l'amour entre Silvère et Miette semble apporter un peu de douceur dans ces portraits. L'argent est partout, fascinant pour les uns, souvent destructeurs et à la base des ambitions des Rougon, attiré par l'appât du gain et la bourgeoisie. Il met en avant la haine, la réussite sociale, la cupidité, l'égoïsme, la trahison, la soif de reconnaissance et tout cela, quitte à faire du mal à ses proches, que ce soit ses frères ou mère. Il dresse une galerie de personnages souvent opportunistes, où le cynisme et l'hypocrisie ne sont jamais bien loin. C'est surtout par le biais de Pierre Rougon que ça en devient aussi fascinant pour le lecteur alors que de l'autre côté les Macquart tomberont peu à peu dans la déchéance avec un Antoine ivrogne (et tout autant égoïste, voulant surtout satisfaire sa fainéantise). Des portraits passionnants et d'une grande richesse, Zola ne néglige aucun personnage et apporte complexité, ambiguïté et mystère à une grande majorité.
La force du récit se trouve aussi dans son contexte politique et les liens faits avec les personnages. Déjà que je trouve ces thèmes et ce passage de l'histoire passionnants, Zola ne fait qu'accentuer cette passion. La politique est au coeur du récit et on suit les bouleversements de cette nation, la vision de la population, qu'importe sa classe sociale et ce qu'il peut/veut en tirer. À l'image du parallèle entre Napoléon III et Pierre Rougon, les "sauveurs", le premier de la France et le second de Plassans, il n'hésite pas à critiquer la vision de "l'homme providentiel". La conquête du pouvoir est toujours au centre du livre, tant dans la grande Histoire que la petite. Dans le même temps, il met en avant une certaine vision de la médecine et de la descendance, incluant un type de comportement transmissible de père en fils, comme l'alcoolisme ou l'avidité, qui sont les différences entre les deux amants d'Adélaïque. Une vision d'époque, jamais lourde mais intéressante à plus d'un titre.
Souvent complexe mais jamais incompréhensible ou lourd, bien au contraire même, Zola arrive à nous immerger au coeur du roman, nous faire littéralement vivre ces bouleversements politiques, le destin familial et l'idylle remplie d'émotion entre les deux adolescents. Il montre une vraie science du détail, prenant son temps pour décrire de nombreux éléments tout en restant passionnant et sans jamais ennuyer, bien au contraire même tant l'immersion est totale. L'oeuvre est d'une immense richesse, jouant sur plusieurs tableaux (la grande Histoire et le côté politique, l'évolution et les caractéristiques de la famille Rougon-Macquart et enfin l'émotion avec le destin de ce jeune couple) qu'il mêle et orchestre avec grand talent, sachant faire ressortir la richesse, passion ou émotion de chacun d'eux.
Plongée passionnante dans l'ouverture de cette saga évoquant le destin d'une famille durant les bouleversements politiques, sociaux et sociétaux de l'après-révolution française. Faisant preuve d'une vraie science du détail et sachant immerger le lecteur au coeur du récit, Zola joue merveilleusement sur plusieurs tableaux et c'est avec passion, attente et espoir que je me lance directement dans la continuité de La Fortune des Rougon, La Curée.