Il est un peu stupide de citer la première phrase de Voyage au bout de la nuit de Céline comme titre d'une critique sur le premier volet de la série des Rougon-Macquart d'Emile Zola, mais c'est ce qu'il m'est venu tout de suite en tête. Ça a débuté comme ça, et ce "ça" n'est guère reluisant...
Le fait que la première scène se déroule de nuit, dans un terrain vague, qui sert à peine d'atelier de bois, qui se révèle être un ancien cimetière, d'où ressort comme des trous de taupe un os de temps en temps, donne très bien le ton.
Un ton qui va se révéler d'une ironie mordante quand Zola va nous décrire dans le menu détail la médiocrité et l'hypocrisie humaines, qu'elles soient d'ordre petite bourgeoisie façon Rougon, branche légitime, ou qu'elles soient d'ordre prolétaire façon Macquart (dont Antoine Macquart, dont la peau ne vaut pas cher, médaille d'or au finish dans le registre "vivement qu'il crève" parmi une concurrence féroce !), branche bâtarde, toute deux sortant d'une vieille folle (folle mais qui vaut mille fois mieux que bien d'autres !), Adélaïde Fouque (obsessions extrêmes de l'arbre généalogique et de l'atavisme de l'auteur qui peuvent prêter aujourd'hui à sourire !).
Leur idylle traversa les pluies glacées de décembre et les brûlantes
sollicitations de juillet, sans glisser à la honte des amours
communes; elle garda son charme exquis de conte grec, son ardente
pureté, tous ses balbutiements naïfs de la chair qui désire et qui
ignore.
Et pour encore mieux souligner cette médiocrité, cette hypocrisie, on aura un jeune couple de cœurs purs, Silvère, accroché à la branche Mouret, elle-même accrochée aux Macquart, et Miette, fille de bagnard exploitée par son oncle et son cousin ; cœurs purs, bourrées de naïveté et d'idéalisme, qui ne peuvent que mal finir dans ce monde impitoyable (pas de gros spoiler, on ne peut que le deviner depuis le début !).
Vois-tu, petite, le grand art en politique consiste à avoir deux bons
yeux, quand les autres sont aveugles. Tu as toutes les belles cartes
dans ton jeu.
Mais surtout, on va voir l'ascension du couple Rougon (et de leur progéniture !), vendeurs d'huile peinant à joindre les deux bouts, méprisé par les autres habitants de la petite ville-forteresse de Plassans dans laquelle ils vivent (car c'est là que ça a débuté comme ça !), totalement ignoré par la classe sociale supérieure, qui vont profiter sans pitié du Coup d'Etat de 1851 du futur Napoléon III pour se placer au sommet de la pyramide Plassans.
Alors Rougon décida que le crieur public, accompagné d’un tambour,
irait par les rues proclamer la ville en état de siége et annoncer aux
habitants que quiconque sortirait ne pourrait plus rentrer. Les portes
furent officiellement fermées, en plein midi. Cette mesure, prise pour
rassurer la population, porta l’épouvante à son comble. Et rien ne fut
plus curieux que cette cité qui se cadenassait, qui poussait les
verrous, sous le clair soleil, au beau milieu du dix-neuvième siècle.
Personne, si ce n'est les cœurs purs et la figure observatrice et désintéressée du docteur Pascal (oui, celui du vingtième et dernier volume !), ne sera épargné par la plume trempée dans du vitriol de l'écrivain. Dès le premier roman, Emile Zola a sorti l'artillerie lourde et il a su viser juste.