Je voulais depuis un moment revenir vers Zola, après une ou deux expériences datant du collège, qui m'avaient laissé indifférent, sans toutefois me rebuter. Je craignais d'être déçu, de trouver son propos utile mais ennuyeux ; et pourtant, quel enchantement ! Je suis littéralement bluffé, scotché par la beauté de sa plume, par la mélodie de ses phrases. Son texte est long et dense, et pourtant, pas un instant il ne nous ennuie, chaque page se dévore avec gourmandise.
Dans ce premier volume de la saga, Zola dépeint avec brio la voracité de la bourgeoisie, à l'aube du Second Empire. Son insatiable soif de pouvoir et de fortune, la conduit aux comportements les plus hypocrites, les plus lâches, les plus ridicules. Dans la seconde moitié du roman, on rigole presque à chaque page devant la couardise de ces arrivistes calculateurs criant à la mort des républicains mais se cachant dans leurs caves au moment de la bataille, pour ne citer que cet exemple. Zola est ici d'une modernité incroyable, car les hypocrisies, c'est bien connu, sont indémodables.
J'ai enfin été surpris de retrouver chez Zola des élans romantiques ; certes, ils servent aussi sa satire sociale, en ce qu'ils opposent aux calculs froids des bourgeois la candeur et l'innocence de la jeunesse ouvrière ; il n'empêche : on reste profondément ému par l'histoire de Silvère et Miette, d'une pudeur d'un autre temps.
Extrait (p.165) :
Il y eut un silence. Jusqu'à cette heure trouble, les jeunes gens
s'étaient aimés d'une tendresse fraternelle. Dans leur ignorance,
ils continuaient à prendre pour une amitié vive l'attrait qui les
poussait à se serrer sans cesse entre les bras, et à se garder
dans leurs étreintes, plus longtemps que ne se fardent les frères
et les sœurs. Mais, au fond de ces amours naïves, grondaient,
plus hautement, chaque jour, les tempêtes du sang ardent de
Miette et de Silvère. Avec l'âge, avec la science, une passion
chaude, d'une fougue méridionale, devait naître de cette idylle.
Toute fille qui se pend au cou d'un garçon est femme déjà,
femme inconsciente, qu'une caresse peut éveiller. Quand les
amoureux s'embrassent sur les joues, c'est qu'ils tâtonnent et
cherchent les lèvres. Un baiser fait les amants. Ce fut par cette
noire et froide nuit de décembre, aux lamentations aigres du
tocsin, que Miette et Silvère échangèrent un de ces baisers qui
appellent à la bouche tout le sang du cœur.