Un manifeste philosophique rationaliste

Les Stoïciens pourraient passer pour des dévergondés à côté de Razi ou Rhazès. Sa morale, inspirée de Platon, d'Aristote et peut-être des Stoïciens et des Épicuriens, est d'une grande austérité. Elle ne s'adresse d'ailleurs pas aux incapables qui ne pourront jamais devenir philosophes. Cette morale est en effet une sorte d'introduction initiatique à qui veut spéculer sur la nature. Purifier son âme, exercer son intellect à réfréner ses passions jusqu'à la névrose, permettra d'utiliser son intellect pour les réalités divines et métaphysiques.

En revanche, Razi rejette, explique Rémi Brague en introduction, le prophétisme religieux, et ne semble pas reconnaître le Coran comme la source d'une tradition à suivre. C'est ce qui m'a fait acheter ce livre, outre le fait que les philosophes islamiques sont rares dans la collection bon marché et accessible GF, le personnage de Razi m'intriguait. Il est en effet classé parmi les libres-penseurs. C'est un médecin réputé, alchimiste au sens expérimental, métaphysicien. S'il fut respecté pour ses talents en médecine, les philosophes ont au contraire méprisé sa métaphysique et sa morale. Peut-être ne lui ont-ils pas pardonné de prendre autant de libertés avec la religion et la tradition. En effet, même si les Stoïciens sont des libertins sur le plan moral à côté de Razi, à l'inverse, Averroès est un fondamentaliste sur le plan religieux à côté de lui.

Il vaut donc le coup de lire ce livre, pour se cultiver sur la période philosophique des IX-Xe siècles, un siècle avant Avicenne, deux siècles avant Averroès. L'introduction de Rémi Brague, helléniste et arabisant de confession catholique, apporte des éléments historiques utiles. Il explique constamment ses choix de traduction, ce qui est honnête et pédagogique. Par contre la bibliographie peut sembler indigeste au non spécialiste. Elle ne gêne cependant pas la lecture.