Des hommes et des femmes décident de résister à un régime autoritaire depuis la rue, la prison ou le maquis. Ils font entendre leur voix chacun leur tour. Face à l'autorité, ils réaffirment leur indispensable liberté en passant par le combat. La lutte armée est inévitable quand on nous a pris notre droit le plus absolu. Alors ils se révoltent, s'unissent face à l’oppresseur dans un texte dur et puissant. C’est un livre qui parle de l’insurrection comme réaction de survie face à la barbarie et au sadisme dans un style infiniment poétique.
Nous avons lancé des pierres, ils nous ont craché des balles. Nous avons dit ce mot infâme de la liberté, ils se sont tus et nous ont parlé avec des alchimies toxiques giclées sur les peaux. Nous avons déclamé leurs chants pour leur montrer qu'ils dissonent, ils ont entravé la mélodie du contentement naissant et impossible...
Le lieu et l'époque de l'histoire ne sont pas donnés. Cela offre une forme d'intemporalité au sujet. Ce sont des événements qui peuvent être vécus par tous dans n’importe quel lieu. La révolte face à l’oppression et la revendication de sa liberté sont des phénomènes universels et vitaux. Les prénoms et l’évocation régulière du mois d'avril font penser aux révoltes de Kabylie, région d'origine de l'autrice. Pourtant ce n'est pas un récit de ces événements. Sarah Haidar dit elle-même qu'il s'agit d'un roman d'anticipation qui se passerai en 2021. C'est, pour moi, une sorte de parabole des combats libertaires passés et à venir.
La trame narrative est labyrinthique, elle perd volontairement le lecteur. C'est un roman à plusieurs voix où les victimes et les bourreaux s'expriment. Tous on connu la violence dans leur chair et ils ne peuvent plus être pacifistes. Ils sont désormais incapable de poser les armes. Le système les a humilié, torturé, persécuté alors ils n'ont d'autre choix que la violence. Les hommes au pouvoir trouvent leur légitimité dans un idéal fantoche et agissent presque machinalement. L'un des dirigeants s’interroge avec lucidité sur la trace qu'il laissera dans l'histoire. Il a conscience de son insignifiance, de sa petitesse.
Je me sens léger car, au fond de cette fumée noire qui a avalé la prison, j'ai caché ce moi dont je ne pouvais plus porter la charge, non par excès de conscience, mais simplement par lassitude : la plupart des gens ne savent pas que le tortionnaire s'use plus vite que la victime...
L'écriture de Sarah Haidar est polyphonique et dense. Son texte est à la fois cru, violent et poétique. J'ai, comme pour Virgule en trombe, eu envie d'en lire des passages à voix haute. J'ai relu certaines pages juste pour le plaisir de faire sonner les mots en moi et aussi pour m'en imprégner. Il y a chez elle une formidable liberté de style qui lui permet d'employer dans une même phrase des mots de registres très differents. Cela en fait un texte percutant et érudit, dérangeant et sublime. C'est un texte qui nous brûle, qui s'adresse directement à notre humanité profonde. Il suscite beaucoup de questionnements autour de nos propres engagements et des concessions que nous faisons à notre liberté.
Les deux dernières pages sont un sublime manifeste à la liberté la plus totale. C'est d'une liberté collective et sans gouvernance qu'il est question, une liberté anarchique au sens profond du terme. Je vous livre les derniers mots du roman qui, pour moi, résume l'essence de ce livre :
Et souvenez-vous : vous êtes nés libres, tachez de la redevenir...
Une réflexion profonde et poétique sur l’insurrection et la liberté.