Voici une pièce qui devrait faire rire jaune la plupart de nos contemporains : son argument central est la frime, encore la frime, toujours la frime jusqu’au point de non-retour : le suicide, sinon physique, au moins financier ! Au spectacle de ces deux familles, dont chacune veut en mettre plein la vue à l’autre sur ses moyens réels d’existence, on songe avec inquiétude à cette foule, hélas bien actuelle, qui est obsédée de son image sociale avant même d’avoir assuré ses moyens d’existence les plus basiques : on veut sa piscine, on se fait refaire les seins, on est accro aux changements de déco, on se fait tatouer jusqu’à l’intérieur du sexe, on jette un smartphone parce qu’il a une semaine d’âge et qu’il y a déjà mieux sur le marché, avant même de savoir si on va être payé à la fin du mois !

Pour une fois, le mariage entre les deux jeunes ne fait pas l’objet d’une remise en cause par concurrence de prétendants ou réticences parentales ; non ; simplement, les deux couples de parents se livrent à une incroyable surenchère dans le paraître, afin d’en imposer aux autres, en se promettant de dépenser des sommes hallucinantes (pour les costumes, pour la dot...) alors que ce sont d’obscurs gagne-petit. L’action est donc assez linéaire, et alterne les moments de tension où l’on surenchérit, et les moments de « dépression », où l’on fait le point sur les mensonges engagés et sur l’impossibilité où l’on sera d’y faire face, le moment venu.

Labiche met donc en scène les calculs vaniteux de petits bourgeois, dont l’horizon mesquin est maintenant bien cadré, sous ce Second Empire ; depuis Molière, et même bien avant, ils n’en démordent pas : ils veulent devenir, pas tellement gentilshommes (la nuit du 4 août 1789 est passée par là), mais en avoir le train de vie. Les contrastes sont donc puissants, entre,
• d’une part, l’affectation d’apprécier les représentations d’opéra où l’on s’ennuie, et où personne ne comprend rien vu que c’est en italien (Rigoletto) ; les mises en scène caricaturales, lorsqu’un couple en visite un autre (la fille de famille, ou la mère, se mettent systématiquement au piano, exécutant des « roulades » en rejetant la tête en arrière d’un air inspiré...) ; le gag de la numérotation de faux patients dans la salle d’attente, pour faire croire que Monsieur déborde de rendez-vous médicaux ; l’improvisation d’une domesticité nombreuse à la disposition de Monsieur ; l’obsession de servir des truffes à tous les plats d’un repas d’invitation...
• et, d’autre part, les pinaillages sur le prix des poissons et des choux au marché, l’incapacité de Monsieur (qui est médecin) à se constituer une clientèle ; les faux bijoux qu’on fait passer pour des vrais...

Le seul personnage sympa, là-dedans, c’est le bon vieux marchand de charbon, qui n’essaie pas de frimer, et qui remet chacun à sa place (II, 13). Mais il est de la famille, et on ne peut renier ses origines « populaires ».

Notons que c’est l’une des très rares pièces de Labiche qui ne comporte pas de couplets chantés.

La cohésion des intrigues, des détails, la montée progressive de la tension vers l’inévitable explosion de cette « bulle » spéculative de vanité et d’enflure sociale, font de cette pièce l’une des mieux écrites de Labiche.
khorsabad
8
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le 21 mai 2013

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