Leopoldo Alas, intellectuel à l'éthique libérale, s'est détaché très tôt de la classe bourgeoise dont l'aspiration se limite au profit. De même, par ses origines et sa culture (lecteur impénitent, il assimile toute la production intellectuelle de son époque), il est très distant des idéologies socialistes. Alas choisit un troisième voie : celle de l'émancipation de l'homme par la culture, où le progrès social ne peut se déployer qu'avec le progrès moral. Toute son œuvre, d'un point de vue spirituel, illustre la position de Alas : allier le pouvoir de la raison avec l'intuition du mystère.
C'est donc l'art qui est le moyen idéal de connaissance selon lui. Toute valeur humaine étant authentiquement valeur d'intériorité, il pourfendra l'hypocrisie, la fausseté et l'imposture. S'il dénonce l'Eglise institutionnelle, c'est au nom de cette spiritualité authentique qu'il aspire de ses vœux. Son roman La Régente s'articule autour de cette position intellectuelle d'Alas.
Pour Leopoldo Alas, la vérité est une quête qui ne peut s'effectuer qu'au plus profond des êtres et des choses. La Régente s'inscrit donc comme une aventure de la conscience, où l'écriture est à la fois spontanée et d'une grande fluidité. Alas donne vie à des personnages, les observe et transforme le tout en territoire mental.
La Régente est une histoire d'adultère dans une ville de province, Vetusta, qu'Alas va exploiter pour superposer deux modes narratifs et donc deux représentations qui s'intriquent : la réalité extérieure et le monde intérieur. Le peintre de Vetusta, ville où se déroule l'action, est le narrateur extérieur ironique et le féroce juge des mœurs et des mentalités d'une société de province pétrie de mensonges et d'hypocrisie.
Le narrateur intérieur, quant à lui, servi par une écriture d'un talent inouï quand il s'agit de sonder les âmes des personnages, suit avec quasi affection les mouvements intimes des deux héros : Ana Ozores, mariée, délicate et sentimentale et le chanoine Fermin de Pas, son directeur de conscience. De leurs intérieurs troubles et troublés, Alas révèlera leur ultime profondeur.
Dans cette dissection des âmes enchâssées dans un monde ennuyeux et étouffant, véritable critique du conformisme social bourgeois, où le désir est sous surveillance de la frustration, Alas sous-tend une quête de l'impossible unicité de l'être qui transcenderait l'existence.
Mario Vargas Llosa considérait La Régente comme le meilleur roman espagnol du 19ème siècle. Je me range humblement à son avis.