J'ai moi aussi bien connu une Anna. Cette Anna-là, c'était mon personnage. Une adolescente élève modèle, préfète, et pour cette raison peu appréciée de ses camarades. Cette Anna-là a connu son Peter, qui lui a ouvert les yeux sur ce qu'était que vivre. Mais Anna refuse de s'évader avec Peter, et Peter s'enfuit seul, lui promettant de revenir un jour, et promis, ce jour-là, ils iraient vivre dans leur petite maison au fin fond de la campagne avec leurs deux enfants et leurs livres, loin des tracas sombres du monde. Peter ne tenait pas en place, il voulait vivre son aventure. Peter est revenu libérer Anna et ses congénères, et il est mort dans la bataille. Anna a dû survivre seule.
C'est dire si j'ai été troublée en lisant cette trilogie, car mon Anna ressemble trait pour trait à cette Anna-là, et ce Peter aussi. Alors je remercie l'autrice d'avoir offert une fin heureuse à son Anna, et à mon Anna aussi. Pour cette même raison, je la remercie aussi de ne pas avoir trahi le caractère d'Anna dans le troisième tome, car la tentation aurait été grande d'en faire une battante. Mais Anna n'est pas comme ça. Anna apprécie sa petite vie paisible et rassurante.
De temps en temps, dans ma lecture, j'ai été gênée par le style très simple, presque haché, le vocabulaire courant sans plus. J'ai pensé que cela desservait la narration, empêchait l'immersion et la profondeur du couple Anna-Peter. Et puis, je me suis rappelée que Anna et Peter ne sont que des adolescents, même avec deux enfants, alors c'est normal que leur couple manque de maturité. Et j'ai trouvé que le style d'écriture, pour une fois, était au service de la narration, que c'était bien vu.
Côté personnages secondaires, c'était quitte ou double. Pour certains personnages, l'autrice évite le manichéisme et propose une lecture nuancée (Jude, Paul, Margaret Pincent), pour d'autres, il n'y a pas le choix (Richard Pincent, dont l'histoire avait pourtant bien commencé dans l’ambiguïté, mais qui bascule dans le glauque tout à fait superflu). D'autres enfin sont à peine esquissés (la Rabatteuse qui piège Anna, Derek Samuels) alors qu'on sent derrière une vie riche en choix et en sacrifices qu'on aurait aimé connaitre.
Et tout ceci nous amène à Julia Sharpe dont on suit la vie par épisodes. Julia est le témoin de son époque, et ce qu'elle offre n'est pas une aventure, mais un témoignage, rare dans un roman dystopique pour adolescents. C'est fait avec beaucoup de délicatesse et de respect.
Je n'ai pas évoqué le thème principal, à savoir la vie éternelle et ses limites. Il est très bien mené, sans aucun doute. Les conséquences sont explicites, et font réfléchir. Surtout, on présente plusieurs points de vue (celui de Richard Pincent (opportunité financière), celui d'Albert Fern (danger), du Dr Edwards (poésie), de Peter (absence de liberté), du peuple (réalisation d'un souhait, peur de la mort)). Cela permet à chacun de construire son opinion, indépendamment de l'orientation de la trilogie, et cela montre à quel point l'autrice a réfléchi à toutes les facettes de cette éventualité qu'elle nous présente.
L'un dans l'autre, je ne sais pas quoi penser de ce livre. Du bon et du moins bon. Quelques belles peintures, contrebalancées par du simplisme par endroits. Un livre aussi contrasté que certains de ses personnages.
Ps : Je me rends compte que je n'ai même pas parlé du tome 1, Anna à Grange Hall. Que dire, sinon que la simplicité de style dessert parfois la profondeur de la narration ? L'un dans l'autre, une fois l'effet de surprise passé, j'ai fini par m'y retrouver, j'ai suivi les doutes et les dilemmes d'Anna face à Peter et ses camarades, et même si c'est un peu simpliste, lorsque j'ai transposé à un véritable mouvement sectaire, je me suis aperçue que l'autrice n'est pas si caricaturale que ça, même dans sa "révélation".