Ce roman constitue un petit bijou de finesse psychologique et nous plonge dans une réalité subtilement habitée par le mystère . Celui des âmes, confrontées à la souffrance et à l’impossibilité d’être soi, celui de l’art, qui demande une entière soumission à l’être qui le sert, celui de l’authenticité de l’amour. La maladie apparaît comme une abdication devant la vérité de l’être, le « mal » prenant la place laissée libre, une acceptation de toutes les compromissions de la vie ( vanité, désir de pouvoir, facilité du rapport à autrui, faux amour…)
Avec en arrière fond la Seconde Guerre mondiale omniprésente et pesante mais jamais vraiment nommée, le récit baigne dans une atmosphère nébuleuse, parfois onirique, où l’essentiel s’impose dans des huis clos étouffants. Celui d’un chalet bloqué par les intempéries au moment de Noël ou celui d’un hôpital , ou plutôt d’une seule chambre d’hôpital, où se joue le combat pour l’existence d’un artiste. Il essaie de comprendre sa maladie pour accepter de la vivre ou choisir la mort, qui passe sûrement par la soumission à la morphine qu’on doit lui administrer à forte dose.
Toutes les nuances les plus subtiles du rapport d’un grand pianiste aux différents stades de sa maladie nous sont racontées. Mais ce n’est pas « La montagne magique », on ne trouve pas chez Sandor Marai la vie sociale d’un sanatorium qui finalement fait aimer la maladie ou en tous cas lui donne un sens ; l’homme est seul face à lui-même et le spirituel ici n’est jamais loin ; la grande force du livre étant de le faire vivre en intimité avec le réel. Parfois, les situations les plus simples, une piqûre, la visite d’un médecin ou d’une infirmière, prennent une dimension « extra- ordinaires » qui rendent ce livre envoûtant.
On le referme comme anesthésié d’avoir suivi une âme dans ses méandres les plus profonds. Il n’y a pas de doute, « La sœur » ne sera pas le seul roman de Sandor Marai que je lirai !