Si Cioran est aussi fascinant, c'est de par son abandon total à l'existence. Nulle part le destin n'existe autant que chez cet homme qui avait assez souffert de son absence totale de maîtrise sur les choses pour y laisser libre cours et les contempler dans un absolu lâcher-prise. Méditation passive, sans même un premier mouvement directeur, j'ai le sentiment que son existence fut un calme reflux, ou peut-être, voire aussi, une tempête démesurément grande au regard de la petitesse de l'être qu'elle paraissait chercher à briser. Sans jamais chercher à se protéger, Cioran a connu avec la vie un contact charnel. Le coeur brisé, mais jamais de son propre fait, il fut l'amant d'une déesse, qui certain de le posséder à jamais, lui a livré quelques-uns de ses plus terribles secrets.
Il est curieux que je parle autant de Cioran, n'ayant lu à ce jour (et trop jeune, à l'époque) que La tentation d'exister, et entendu sa voix certes inoubliable le temps de quelques entretiens radiophoniques. C'est peut-être aussi l'inchoisie préservation de sa rareté qui le fait encore apparaître dans mon ciel comme le scintillement d'une révélation.