Nous sommes en avril mais l’Islande est encore sous la neige. Jens le postier arrive au village frigorifié, collé à son cheval par le gel. Avec précaution, on le détache, on le déshabille et on le réchauffe près du feu. Il faut dire que cet homme doit être choyé car il est le seul trait d’union entre la civilisation et cette contrée perdue au bout du monde. Quelques jours plus tard, on demande à Jens de poursuivre sa tournée toujours plus au nord, là où l’Islande prend fin pour laisser place à l’hiver éternel. La lande qu’il doit traverser est balayée par une telle tempête que beaucoup la considèrent comme impraticable. Accompagné du gamin, un garçon d’auberge passionné de poésie et de littérature, Jens se lance dans la tournée la plus difficile de sa carrière.

Le postier taciturne et le gamin volubile forment un couple aussi improbable que complémentaire. Leur voyage sans fin au cœur d’une incroyable tempête a tout de la tragédie. Dès le départ le lecteur se doute que leur entreprise est vouée à l’échec. Mais l’important n’est pas là. Ce qui compte, ce sont les rencontres qu’ils feront au cours de leur périple, ces maisons isolées, noyées sous la neige, où des familles passent l’hiver au coin du feu dans une sorte de huis-clos pesant. Des gens taiseux et modestes toujours prompt à partager le peu qu’ils possèdent. Mais surtout, ce qui compte, c’est la qualité de l’écriture de Jon Kalman Stefansson. La tristesse des anges est roman très littéraire traversé par des élans poétiques somptueux et une réflexion pleine de finesse sur le sens de l’existence : « Qu’est-ce qui nous afflige – si seulement nous le savions. Nous savons à peine pourquoi nous posons la question, nous savons simplement qu’il y a quelque chose qui nous afflige, que nous ne vivons pas comme nous le devrions. Et la mort nous attend tous. »

Incroyable tour de force que de décrire pendant plus de deux cents pages le combat de deux hommes en pleine tempête sans jamais donner l’impression de se répéter. La prose est éblouissante, sachant se faire lyrique sans jamais tomber dans le boursouflé. Le lecteur frissonne, il est saisi par la dureté du climat et des hommes, par ces caractères de rustres indomptables qui représentent l’âme islandaise. « La vie islandaise dans un mouchoir de poche, nous sommes parfaitement incapables d’exprimer nos sentiments en présence de l’autre : de mon cœur ne t’approche point. »

Un roman somptueux, hors du temps et des modes. Jon Kalman Stefansson déroule une petite musique qui vous accompagnera longtemps pour peu que vous lui accordiez l’attention qu’elle mérite. De la littérature, quoi.
jerome60
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le 10 févr. 2013

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