« La brutalité du désir me dissout le crâne et le cœur. »
Il y a des livres attachants. Et il y en a d’autres qui font tache. Pas du style petite tache de confiture sur la chemise. Non non, plutôt bonne grosse tache de foutre, de sang ou d’excrément. Une tache qui vous colle à la peau quoi. Et qui vous file un sacré inconfort. Mais l’inconfort peut être salvateur dans une société policée comme la nôtre. Et ça, Frédéric Bach l’a bien compris. Il a donc choisi le parti pris de bousculer le lecteur. Allez-vous saisir la main qu’il vous tend pour une plongée en enfer ? Il n’est pas dit que vous en ressortiez indemne…
Mais ne soyez pas effrayé ou rebuté par cette entrée en matière un peu frontale. Car le narrateur est certes un tueur, mais un tueur ma foi plutôt sympathique. Le genre qui « n’a pas l’air méchant » justement. D’ailleurs le crime, c’est pas tellement son truc. Lui, il est plutôt du genre à chercher un boulot clean (1ère obsession) afin de gagner un peu de thunes (2ème obsession) et puis baiser de temps en temps (3ème obsession : vous avez la Sainte Trinité). Et surtout, il est fou, c’est un fait, mais au moins, il est pas dépressif !
Après sa sortie de l’hôpital psychiatrique, devant l’agence d’intérim, il ressemble d’ailleurs un peu à tout le monde, en plus il est plutôt beau gosse. Alors certes, il radote pas mal ; sur l’industrie pharmaceutique, la religion, la philosophie grecque, la psychiatrie. Ah et il s’est mis en tête d’écrire aussi. De la porno-poésie. Il a ses marottes quoi. Ok il a même un petit travers : il ne peut s’empêcher de faire toujours un petit sermon à ses victimes avant de les trucider.
« J’ai pas la réponse à la question de savoir si j’ai bien fait de tuer Christian ou pas, mais ce qui est fait est fait, je vois pas comment je le ressusciterais, au final c’est pas trop grave. On fait un truc et on s’y tient. Il paraît que c’est comme ça qu’on avance. »
Bon avouons-le, ce côté calme et complètement détaché (il s’en donne à cœur joie dans l’horreur comme s’il jouait à candy crush ou au bilboquet) est carrément flippant. Pour autant le livre ne l’est pas, flippant. Il est juste un peu violent, un poil immoral et très (mais alors très) légèrement politiquement incorrect. Huhu.
Disons un mot sur le style quand même, car c’est le style qui hameçonne immédiatement. Style accrocheur car très oralisé. Ce roman, c’est avant tout un monologue intérieur. La langue est crue et un peu méandreuse mais très directe (« chus » est souvent utilisé à la place « je suis » par exemple). La grammaire et à la ponctuation ne sont pas épargnées non plus (y a pas de raison que y ait que les victimes humains qui trinquent), mais cela donne justement du nerf, ça cavale comme la pensée d’un cerveau en folie.
« La bascule, c’est jouer à la balançoire par temps chaud, ton âme s’évapore et tu te balances. Quand t’es arrivé au sommet de la courbe dans les airs, l’énergie cinétique éjecte un peu d’ectoplasme. Ne laissez pas les enfants seuls dans les parcs ! Ils pourraient se retrouver greffés d’un bout d’ectoplasme tombé d’on ne sait qui. Laissez-les jouer aux cerfs-volants dans les prés à côté des vignes. »
Quoique… Qui dit vigne dit ceps de vigne…
La bascule, c’est quand on marche sur un fil. Parfois ça tangue mais on tient. On voudrait s’élever, mais souvent on tombe. Et en bas, les chiens vous attendent en hurlant.
La bascule, c’est un aller simple vers l’horreur - mais avec jubilation !