Au club où il a ses habitudes - nage, musculation puis un tour plus ou moins long dans les douches collectives, en fonction des rencontres qu’il peut y faire -, William Beckwith croise le chemin de Charles Nantwich. Avec leurs quasi soixante ans d’écart, les deux hommes n’évoluent a priori pas dans les mêmes sphères, mais à la faveur d’un rapprochement inattendu, Charles propose à Will d’écrire sa biographie. A mesure que William parcourt les journaux de Charles, découvrant l’intimité d’un jeune homme homosexuel dans les années 20 et 30, se révèlent également les liens qui unissent la famille Beckwith à l’histoire de Charles Nantwich.
Bien qu’il soit déjà un classique de la littérature anglaise LGBT, je ne savais pas grand chose de The Swimming-pool library et j’ai pris grand plaisir à découvrir la manière dont Alan Hollinghurst injecte dans l’ambiance très « posh » de la bonne société où évoluent Charles et William une copieuse dose d’humour queer et de nombreuses scènes de sexe explicite, parfois un peu gratuites d’ailleurs, mais qui donnent à l’ensemble un air de roman de Julian Fellowes canaille très plaisant. Dans cette forme à la légèreté et à l’humour typiquement anglais, Alan Hollinghurst compose un récit de transmission qui, d’une manière rare, souligne l’existence d’une Histoire des consciences et des cultures gay.
De Wilde à Ronald Firbank (que je ne connaissais pas et qui est abondamment cité), de Forster à Britten, et de Charles Nantwich à Will Beckwith, c’est tout un héritage, des récits, des stratégies de contournement des normes établies qui se répètent malgré l’écart générationnel. Comme tous les héritages, celui-ci contient d’ailleurs quelques éléments gênants, à commencer par la façon dont le regard de Will fétichise tous les hommes noirs qu’il croise, perpétuant ainsi l’emprise coloniale représentée par la vie « amoureuse » de Charles lors de ses voyages dans les dominions anglais. Sur ce point, et même s’il a le mérite d’ouvrir ce chapitre généralement peu considéré, The swimming-pool library a tout de même un peu vieilli : Hollinghurst manque un peu de radicalité et de telles questions mériteraient un regard plus critique, moins complaisant, même si l’auteur fait preuve d’un certain sens de la nuance dans sa façon de questionner cette reproduction des dominations, plus souterraines donc moins spectaculaires que celles qui frappent certains des personnages gays qui subissent des passages à tabac ou de la prison, mais tout aussi durables.