Critique documentaire ! La ruse et la force. Une autre histoire de la stratégie. De Jean-Vincent Holeindre chez Perrin 2017.
Professeur agrégé en science politique à l’université Paris 2 Panthéon Assas, Jean-Vincent Holeindre dans son dernier ouvrage, tente de réhabiliter la ruse dans le domaine de la stratégie militaire.
D’après l’auteur, dans l’histoire de la guerre la ruse a un statut plus ambigu que la force. Cela s’explique par le fait que la force est visible. Elle exprime la force physique du soldat et en même temps elle représente le courage et la vertu du combattant. Se battre avec honneur sur le champ de bataille et tomber en héros. La force apparait donc comme un élément matériel et psychologique de premier ordre dans la pensée militaire.
Ainsi, la ruse a un statut plus ambigu que la force parce qu’elle symbolise ce qui est caché. Elle reflète l’intelligence qui permet de triompher dans un duel non pas par la force, mais à l’inverse par la ruse. Pensons aux fables de La Fontaine avec le personnage du renard par exemple : Le renard flatte le corbeau pour lui subtiliser, par la ruse, le fromage qu’il tient en son bec. La tromperie est alors l’élément ambivalent de la ruse, celui qu’il ne faut pas avouer, dont il faut taire l’existence.
Dans son brillant ouvrage, Jean-Vincent Holeindre commence par nous raconter l’épisode du cheval de Troie et nous explique pourquoi cet épisode représente une ruse fondatrice. Avec talents, l’auteur nous démontre que ce stratagème, qui consiste à faire pénétrer un cheval en bois dans lequel se cachent des soldats grecs dans la cité des Troyens, est un archétype de la victoire par ruse. De plus, il développe l’idée que cet épisode mythologique est très important à comprendre, car il va alimenter non seulement notre imaginaire mais aussi la culture de la guerre.
Acquérir la victoire en se servant d’un subterfuge, comme dans l’épisode du cheval de Troie, va fixer dans notre représentation collective une séparation entre triompher en combattant loyalement et acquérir un triomphe qui n’est pas juste, une victoire volée. Les deux héros grecs, Achille et Ulysse représentent alors chacun un archétype qui s’oppose par leur caractère. Achille combat loyalement jusqu’à la mort alors qu’Ulysse ruse pour survivre et rejoindre sa famille. Cette ambivalence incarne la séparation que l’auteur fait entre le soldat et le stratège et qui va être le fil rouge de son ouvrage.
C'est donc à partir de ce scénario originel, Jean-Vincent Holeindre nous amène à porter un regard neuf sur les grandes guerres grecques mais pas seulement car il nous emporte avec ambition jusqu’aux guerres contemporaines. Avec méthode, l’auteur prends le temps de dérouler les intérêts et les motivations de chacune des puissances en conflit afin de laisser au lecteur tout le loisir de penser les enjeux. Un voyage dans l’univers de Métis, première épouse de Zeus et déesse de la stratégie, qui à le mérite de nous raconter avec sagesse combien l’intelligence est complémentaire de la force.
« La guerre, si on la regarde à travers l’histoire de la stratégie, a deux visages : celui d’Achille et Celui d’Ulysse, de la force et de la ruse, de la « grande guerre » et de la « petite guerre ». »