Nikolaï Leskov, on ne peut pas dire que le nom de cet écrivain dise grand-chose. Pour le confirmer, il suffit de voir comme il est difficile de trouver les œuvres de ce contemporain de Dostoïevski et de Tolstoï à un prix raisonnable sur Internet. Moi-même, j'ai eu la chance de tomber par hasard sur ce recueil, de quatre nouvelles de cet auteur en Folio, dans un vide-grenier.
Lady Macbeth au village :
Une jeune femme s'ennuie comme un rat mort dans la prison qu'est son foyer, mariée, pour cause de pauvreté d'origine, à un marchand aisé, un homme tyrannique qu'elle n'aime évidemment pas. Une absence de celui-ci et la rencontre avec un des employés, jeune et beau, de son époux ne vont pas manquer de provoquer l'étincelle qui va faire exploser la poudrière...
On pense commencer avec une héroïne qui semble tout droit sortie d'un roman de Thomas Hardy, qui va se révolter un peu pour se laisser très vite écraser par la société. Et on comprend très vite qu'on a en fait très sérieusement sous-estimé le côté psychopathe de la demoiselle...
Un début très excitant pour cette nouvelle de 60 pages et une protagoniste fascinante, mais une grosse faiblesse malheureusement... Il y avait largement matière à écrire un roman de 300 pages. Cela aurait permis de développer considérablement la psychologie des personnages, de beaucoup plus appuyer le côté fantastique de l'histoire en faisant apparaître plus souvent le chat fantôme, qui n'existe peut-être que dans le cerveau de la criminelle (pour l'utilisation de l'animal peut-être imaginaire, on a une impression de trop avorté ; soit il aurait fallu appuyer beaucoup plus sur le côté fantastique ou folie mentale, soit le faire disparaître totalement, mais en tous les cas pas autant bâcler cet aspect de l'histoire !), et aussi de trouver un bien meilleur rebondissement pour justifier le fait que la gentille madame se fasse prendre (oui, parce que là, c'est vraiment tiré par les cheveux, juste pour précipiter maladroitement la fin !). Par contre, les dernières lignes, brutales, sont marquantes...
En résumé, un potentiel très grand roman qui souffre d'être juste une nouvelle.
L'Ange scellé
La lecture de cette nouvelle, à forte portée mystique, m'a fortement fait penser à Andreï Roublev d'Andreï Tarkovski. Oui, parce qu'il y a énormément de descriptions d’icônes, de l'historique de la fabrication de ces œuvres d'art uniques. On sent une énorme érudition et une énorme passion de l'auteur dans ce domaine.
On pourra malheureusement regretter un dénouement précipité à base de prosélytisme ainsi que quelques éclairs d'antisémitisme...
Le Vagabond ensorcelé
C'est l'histoire d'une errance, et à l'image de ce vagabondage, de cette errance, cette nouvelle, assez longue qu'elle finit même pas atteindre la longueur d'un court roman, se montre tout aussi erratique dans sa structure. Si on n'a pas compris l'intention de l'auteur (comme ça a été le cas de la critique à l'époque !), on pourrait reprocher à l'ensemble de sauter du coq à l'âne. Mais justement, c'est l'histoire d'une errance.
Et le fait que cette nouvelle soit placée entièrement sous le signe de l'erratique donne tout son intérêt à l'ensemble parce qu'on ne sait jamais à quoi on aura le droit en passant à la page suivante.
Ce qui fait aussi que cette nouvelle est réussie (c'est même, et de très loin, la meilleure des quatre du recueil !), c'est l'aspect profondément "Russie profonde". Il ne peut pas avoir plus russe que notre protagoniste, un serf naïf, qui vit de superstitions, mais qui est capable, mentalement et physiquement, de résister à toutes les épreuves possibles et inimaginables, pas du tout touché par la moindre influence européenne, contrairement à ses compatriotes contemporains plus élevés socialement ; le symbole d'une Russie hors du temps et de l'espace. De l'espace, car lors des scènes qui se déroulent au fin fond des steppes, on a vraiment l'impression d'être hors du monde.
Profondément russe, profondément marquant...
Le Chasse-Diable
Cette fois, une nouvelle très courte, vingt pages à tout casser. Une orgie suivie d'une sorte d'exorcisme, appelé Chasse-Diable. Ça se lit bien, ça se lit vite, c'est intrigant, mais là, encore, ça aurait mérité d'être beaucoup plus développé.