Le dernier roman d’Olivier Maulin a quelque chose de paradoxal, mais c’est un heureux paradoxe : il est à la fois profondément français et subtilement anglo-saxon. Français par son goût des terroirs, sa gauloiserie, son enracinement joyeux, son franc-parler, sa bonne humeur rabelaisienne, son hédonisme très latin à base de picole, de camaraderie et de retour à la terre. Mais anglo-saxon pour son humour très particulier, dans les dialogues notamment, qui n’est pas sans faire penser au nonsense cher à Lewis Carroll et aux Monty Pythons. Par ailleurs, le récit, dans sa construction et sa manière de dérouler l’intrigue et la galerie de ses personnages pittoresques, a un petit quelque chose qui n’est pas sans rappeler Kennedy Toole et sa fameuse "Conjuration des Imbéciles".
On commence par suivre Berthelot, représentant peu doué en monte-escaliers électriques mais on s’aperçoit vite, dès son licenciement, que celui qu’on a pensé être l’anti-héros du roman ne l’est pas forcément du fait qu’il n’y a pas de personnage principal et que le lecteur est sans cesse balancé de l’un à l’autre. Dans les campagnes riantes de la Mayenne où se réunissent divers marginaux en rupture avec la société, on croise de tout : un déserteur de la guerre d’Afghanistan, un couple de nudistes anarchistes et crudi-végétariens qui « se considèrent comme l’avant-garde éclairée du grand retour en arrière », un fils d’agriculteur persuadé que trois univers parallèles coexistent (celui des vivants, celui des morts et celui des nains), un clochard christique prétendant venir d’une autre planète, une apprentie libraire de chez Leclerc, un ancien paramilitaire reconverti au primitivisme et spécialisé dans les plantes médicinales et les exorcismes… Tout ce petit monde vit sous l’administration du propriétaire des terres, le comte du Haut-Plessis, « opposé au matérialisme, à la démocratie et aux congés payés ». Maulin place cette petite communauté bien malgré elle au centre d’un scandale politique qui fait déferler dans la campagne deux agents du contre-espionnage malchanceux et peu préparés à ce choc des cultures.
L’auteur, d’humeur écolo, râleuse et rigolarde, en profite pour faire l’éloge des haies, témoignage des grands défrichements du Moyen-Âge et garant des équilibres végétaux, ou pour vitupérer contre la cuisine gastronomique : « Un petit poiscaille à la con se faisait étuver en viennoise de parmesan ! Tout ça pour finir en caca ! » Une lecture revigorante en ces temps d’aseptisation du réel !