Robert Seethaler est un auteur autrichien édité en France par Sabine Wespiesser, Le champ est son troisième livre traduit. Il n’aura probablement pas le même petit succès que Le Tabac Tresniek ou Une vie entière, tous deux d’une nature plus classique.
Car Le champ c’est celui d’un cimetière, un surnom qui lui a été donné par les habitants de Paulstadt. Un homme ouvre le récit, appréciant arpenter les allées et les environs du lieu. Il reconnaît sa vieillesse et avoue qu’il lui semble entendre les voix des occupants des tombes.
Le reste du roman propose ces états d’âmes de l’au-delà. Les morts parlent, ou plutôt se parlent pour eux. Ils évoquent leurs derniers moments, leurs morts ou bien d’autres passages. Ce qui leur semble important. Que ce soient leurs relations avec leurs proches ou des introspections bien plus fermées sur eux-mêmes.
Les bornes temporelles sont floues, le décor est limité à la ville et à ses alentours, avec quelques lieux marquants des villageois, tels que ce cimetière, l’église, ou ce grand centre commercial. Des liens se créent, le lecteur trace les contours de cette bourgade et de ses habitants, sans avoir la certitude d’être dans le vrai. Des grandes lignes se tracent, certains évènements malheureux sont bien connus et reviennent dans les pensées des morts.
C’est plus délicat pour faire l’inventaire de ces personnes, certaines sont citées mais n’apparaissent pas, laissant le champ libre à l’imagination : sont-elles encore vivantes, si elles sont mortes n’ont-elles pas été enterrées ailleurs, etc. ? De plus il ne suffit pas que quelqu’un parle d’un voisin pour être dans le vrai, avec certains points de vue différents ce sont d’autres profils qui se créent, bien plus complexes. C’est particulièrement frappeur quand ce sont les deux personnes d’un couple qui s’expriment, le lecteur s’amusant à comparer deux angles qui parfois s’opposent ou se complètent mais aussi des sujets et des omissions différentes.
Ce jeu de pistes dans le flou ne serait pas si efficace si l’écriture de Robert Seethaler n’avait pas une telle force. On y ressent tous les regrets personnels, les problèmes de communication et les différentes tragédies personnelles. Chaque histoire est une petite nouvelle, mais l’ensemble offre un ton rempli de tristesse, où les petites joies à Paulstadt sont rares. Vivre ensemble, c’est possible, mais cela ne rend pas la vie plus belle, les solitudes sont intérieures.
Il y a dans Le Champ des histoires poignantes, qui peuvent se suffire à elles-mêmes, qui feraient d’excellentes lectures au coin du feu. Le récit pendant la guerre de Stéphanie Stanek et de sa fille est déchirant sur les sacrifices qu’il est possible de faire. La (fausse) conversation entre Bernard Silberman et sa veuve est touchante : quand l’un des deux membres du couple disparaît, que reste-il de celui-ci ? D’autres bribes de récits sembleront plus anecdotiques mais participent à un puzzle géant, dont il manque des pièces, et dont les couleurs sont passées.
Ces confessions des morts sont belles, il faut les lire, il faudrait pouvoir les écouter. C’est ce que la fiction permet, c’est ce que Robert Seethaler nous offre. Le résultat est à la fois intriguant et en même temps triste, l’excitation de découvrir Paulstadt et ses habitants se mêle à la peine qui semble coller partout, que ce soit à leurs habits ou aux murs qui les entourent.