Une quête, une grande, belle et vraie quête. Que le héros démarre seul, quasiment à poil dans un trou paumé. Et qu'il va terminer triomphalement accompagné par des dizaines de milliers de ralliés à sa cause...Formidablement racontée, avec une galerie de personnages secondaires, humains ou non, remarquablement bien campés. Le tout après une errance de plus d'une année (terrestre ?) sur la gigantesque planète de Majipoor. Du très haut niveau en matière de fantasy, un classique en somme et qui a du inspirer plus d'un dungeon master.
Mais bon, en plus, Silverberg est un type intelligent et il nous offre en prime une réflexion plutôt fine et bien sentie sur le pouvoir. A travers les doutes de Valentin, qui n'est pas loin de satisfaire, au début de son périple, de sa condition de jongleur itinérant. Puis à travers la conception qu'il en acquière, avec ce souci de ne pas commettre d'abus de pouvoir, justement. Et le fait qu'il prenne en compte que sa temporaire modeste condition ait pu changer son regard sur les choses (du genre se mettre à la place de ceux que l'on gouverne)...Un brin utopiste, me direz-vous ? Oui, certainement, ce bouquin est un bouquin utopiste. Mais il a été écrit à la fin des années 70, c'est à dire il y a près de quarante ans. Et la quête de pouvoir d'un Valentin parait aujourd'hui bien naïve lorsqu'on la met en perspective avec celle de nos récents présidents de la république, pour ne citer qu'eux.
Car Majipoor n'est ni la France, ni la Terre. Mais son système politique mérite qu'on s'y attarde un peu, puisqu'il repose sur un pouvoir tétracéphale. Deux des quatre têtes en constituent l'exécutif : le Coronal (qui reçoit le titre de Lord) qui est une sorte de monarque, qui a un rôle de représentation et gouverne par décret et le Pontife, qui est un ancien Coronal, et qui dirige l'administration. Evidemment, sur une planète telle que Majipoor, l'administration est pour le moins massive et, détail amusant, elle est implantée dans un labyrinthe souterrain. Silverberg étant américain, on ne pourra pas lui en vouloir pour la métaphore.
Les deux autres têtes, le Roi des rêves et la Dame de l'Ile, ont un pouvoir d'influence, même s'ils participent à la nomination du Coronal. Le Roi des rêves est disons plutôt répressif, dans un registre très ministère de l'intérieur, alors que la Dame de l'Ile est bienveillante. Ils exercent leur pouvoir d'influence en intervenant dans la fabrication des rêves des citoyens. On pourrait dire qu'en quelque sorte, l'un et l'autre sont les médias de Majipoor. Voilà, un système politique très bien pensé. Et utopiste, oui, car depuis des millénaires, la paix et l'harmonie règnent, y compris entre la plupart des espèces qui peuplent cette planète. Jusqu'à ce que...
Voilà, donc, un véritable livre univers avec également force évocations géographiques et historiques (que je ne détaillerai pas ici), univers que ce tome 1 commence à dessiner et dont je ne doute pas que l'ensemble du cycle va l'enrichir considérablement. Narration parfaite, simple et prenante. Vivement la suite, d'autant que Majipoor a tout de même également quelques zones d'ombres...