Que nous voici loin de l'intensité symbolique et des non-dits lourds de mystères des romans de Chrétien de Troyes ! Ici, vieilli par l'usage et les conventions qui se sont imposées, le roman arthurien ressemble à ceux que Don Quichotte se targuait de lire. On va chercher des arguments d'intrigue dans les petits recoins encore inexplorés du corpus narratif: personne n'avait trop essayé de mettre en scène le roi Arthur lui-même dans sa jeunesse ? Qu'à cela ne tienne, voilà, c'est fait !

Cette tendance à exploiter le récit des jeunes années de héros qui ont eu du succès est courante lorsqu'on glisse sur les pentes des XIVe et XVe siècle, et que le Moyen Âge épuise ses sources vives dans le bourbier du déjà vu. De nombreux récits relatent les "Enfances" de personnages de fiction illustres, afin d'en tirer tout le parti médiatique possible, et de rallonger la substance narrative dans l'espoir de la renouveler.

Point donc de terreur sacrée ou de Graal à l'horizon. Le jeune Arthur, encore dans les agapes de son couronnement lors de la fête de Pentecôte - leitmotiv arthurien s'il en est - est sollicité par une jeune fille pour réparer une injustice. Ce schéma se reproduit plusieurs fois - un peu trop - dans ce récit, et avec une telle fréquence qu'Arthur est parfois détourné d'une quête principale pour s'occuper d'une affaire secondaire: l'intrigue est - partiellement - arborescente.

Le spectaculaire et le pittoresque sont bien présents, mais comme fanés et sans relief: le papegau, sympathique auxiliaire d'Arthur, trouvère au chant merveilleux, parleur de haute volée, appartient à la lignée des esprits animaux qui reflètent les forces inconscientes positives; il en va de même de la Franche Pucelle, qui soigne Arthur de ses blessures dans une forêt, du nain et du Géant Sans Nom, espèce d'ogre sans intelligence mais nourri par l'au-delà (une licorne), et qui va finalement se révéler bénéfique en dépit de sa brutalité; le monstre composite, forme sous laquelle apparaît le chevalier Belnain, qui poursuit une juste vengeance posthume.

Le surnaturel et la féérie sont bien là: le tournoi fantôme (assez parent de la Mesnie Hellequin), le pont très étroit (déjà vu dans d'autres romans), la roue tranchante qui tourne furieusement (déjà vu également); le Chevalier-Poisson, espèce de centaure dont le corps, l'armure et le cheval ne forment qu'un seul être vivant (explicitement inspiré par une "Mappemonde", un ces traités encyclopédiques de géographie, où les pays inconnus et lointains servaient de support de projection pour les représentations imaginaires les plus extravagantes). Le Géant Sans Nom, baptisé à la fin, confère à Arthur un rôle de civilisateur: il fait passer ce personnage du stade de la brutalité primitive à celui de la civilisation.

Merlin est cité par le papegau, mais il ne paraît pas et ne joue aucun rôle. Pas question de Table Ronde ni d'aucun de ses chevaliers.

La courtoisie est en perte de vitesse: Arthur n'hésite pas à frapper la Dame qui lui a infligé une épreuve douloureuse pour son honneur.

Le récit, alerte et varié, soutient aisément l'intérêt. Mais il manifeste une sorte de marasme créatif dont les premiers avant-courriers de la Renaissance européenne entreprendront de tirer la littérature et l'art.

"Le Chevalier au Papegau" est le dernier texte retenu par Danielle Régnier-Bohler dans son recueil "La Légende Arthurienne. Le Graal et la Table Ronde".
khorsabad
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le 22 mai 2011

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