C’est une curieuse divagation que propose cet ouvrage, qui oscille entre la biographie et l’essai et qui, pour parler de Champollion, évoque davantage les forêts d’Amérique du Nord que les déserts d’Égypte !
En effet, Macé prend pour prétexte que l’on a fait la lecture du Dernier des Mohicans à Champollion alors qu’il était alité, en proie à une grave crise de goutte, et décrit la vie et la psychologie du savant à l’aune de ce roman. Cela peut sembler saugrenu… mais l’auteur sait retomber sur ses pieds.
Macé semble s’attacher à déconstruire le mythe de Champollion et partir du principe que sa vie et ce mythe sont assez bien connus, mais j’ai l’impression qu’ils ont été assez oubliés… (sans doute moins lors de la publication du livre, et moins encore quand Macé, enfant, a été familiarisé avec la figure de l’égyptologue ; d’autres mythes nationaux ont été condamnés au même oubli – je pense notamment à Pasteur). Il n’y a plus grand-chose à déconstruire, donc… Même dans le jardin du Musée égyptien au Caire, le buste qui porte son nom n’est pas celui de Champollion !
Néanmoins, malgré ces prémices un peu incertains, Macé ouvre quelques perspectives éclairantes sur le personnage de Champollion. Il montre notamment combien il est le reflet de son époque, le début du XIXe, et qu’à la figure du savant acharné de travail et se tuant à la tâche, il faut adjoindre l’image d’un jeune homme en quête d’un amour passionné, et influencé par les bluettes sentimentales du romantisme naissant, au point d’affubler les ses correspondantes et lui-même de pseudonymes passablement ridicules et tout droit tirés de romans à l’eau de rose ou de quelque mièvre bergerie.
L’auteur propose également une réflexion intéressante sur ce qu’est un signe (hiéroglyphique, notamment), et ce que signifie lire et déchiffrer. « Champollion ne savait pas lire. » : ainsi commence l’essai ! Car lire, c’est pouvoir faire abstraction du signe, ce qui semble incompatible avec le fonctionnement intellectuel de Champollion. L’auteur montre également la révolution intellectuelle qu’a dû opérer le savant de Figeac pour comprendre l’écriture hiéroglyphique. En effet, les hiéroglyphes étaient eux-mêmes entourés d’une aura mystique, puisque leur nom même leur conférait une dimension sacrée : cette écriture, pensait-on, exprimait l’essence même des choses. Le travail de Champollion a donc à la fois suscité une égyptomanie et, pour ainsi dire, une démystisation de l’écriture de l’Égypte antique en faisant de la langue pharaonique une langue comme les autres et en réduisant les caractères hiéroglyphiques à de simples phonèmes (pour simplifier un peu).
Cependant, cette déconstruction du mythe de Champollion qui n’évite pourtant pas elle non plus les clichés. Je cite, par exemple : « ce que Champollion ne cesse de se dire, c’est que les visages pâles qui massacrent les bisons sont les descendants des Romains qui mirent le feu à la bibliothèque d’Alexandrie. » Or l’élimination presque industrielle des bisons est postérieure à la mort de Champollion, et les Romains n’ont pas incendié la Bibliothèque… De même, était-il vraiment nécessaire de qualifier les Indiens d’Amérique d’« êtres baroques » et de « têtes peinturlurées » ?
Car il est finalement beaucoup question des Indiens d’Amérique, et l’importance donnée au roman de Fenimore Cooper semble moins un artifice quand, à la fin de son essai, Macé retranscrit une magnifique lettre de Champollion décrivant le désarroi d’une Indienne Osage au Louvre, chantant pour elle-même son mal du pays devant la foule goguenarde. Curieusement, comme le montre finalement, assez bien la citation de Macé dont j’ai critiqué certains clichés, un des initiateurs du mouvement qui au XIXe a vu l’Occident s’emparer des autres cultures pour en faire un objet de savoir académique et de convoitise pour les musées, a été sensible avant bien d’autres à ce que cette passion avait d’aliénant et de destructeur.