Giono a écrit un livre d'histoire, celui qui nous intéresse ici. Il s'insère dans une collection lancée par Gallimard intitulée "Les journées qui ont fait la France" et parcourt les grandes dates de l'histoire de l'hexagone (du sacre de Charlemagne à la fin de la quatrième république, en gros). Dans une interview qui lui est consacrée, il affirme clairement que cet essai est appelé à rester sans lendemain parce qu'il n'a vraiment pas d'intérêt à en écrire un autre. Un travail de commande? C'est un peu l'effet que tout cela donne. Et pourtant c'est semble-t-il avec assez de bonne volonté qu'il s'attèle à la tâche, visitant à plusieurs reprises le terrain des hostilités qui l'occupent et faisant dûment les recherches nécessaires. Si je ne veux pas préjuger plus avant de son degré d'investissement personnel dans ce projet, je dirais malgré tout que le récit projette un délicieux petit parfum de désinvolture qui en fait son charme inouï. Car, plus que tout autre chose, l'étude du désastre de Pavie est l'occasion pour Giono de réfléchir à la psychologie des parties en présence qu'il se délecte à peindre dans les couleurs les plus bariolées.
Ce qu'il décrit c'est un roi jouisseur et donquichottesque qui joue le sort de son royaume à ce qui est pour lui l'équivalent d'un match de football. C'est un empereur Charles Quint, plus petit bourgeois flamand que grand seigneur espagnol, qui thésaurise, agiote la victoire et la défaite (son portrait qui ouvre le livre est un morceau de bravoure hilarant!). C'est une jeune noblesse française qui n'a en tête que la gloriole d'un corps-à-corps héroïque et une noblesse plus aguerrie qui voit déjà poindre les exigences de la dure réalité de la guerre moderne et de son économie. C'est les bandes de mercenaires (suisses, allemands pour la plupart, mais aussi italien, espagnols,...) qui se font une guéguerre publicitaire à qui en a la plus grosse mais qui se mutinent dès qu'elles s'estiment mal payées de leurs inestimables services. Des couronnes impécunieuses qui vont mendier à gauche à droite de quoi acquitter la solde de leurs soldats de fortune. Des stratégies militaires allant du prudemment mesquin au plus absurdement chevaleresque en passant par le totalement absent. Ce qui devait n'être qu'une escarmouche lambda qui se transforme en catastrophe biblique. C'est surtout la description d'un monde dont la psychologie nous semble bien incompréhensible.
Le grand mérite, outre le style, qui est brillant, du désastre de Pavie, est de rendre avec intensité le fossé qui sépare la psychologie d'un François Ier de celle d'un citoyen lambda du XXIème siècle. De même la guerre du seizième siècle est à cent lieues de ce qu'elle deviendra plus tard. Et cela, Giono nous le donne à voir avec un humour de toutes les pages, mais aussi une précision dans la description qui force l'admiration. C'est à la fois un livre d'histoire intéressant, un exercice de style éclatant et enfin un récit passionnant.
Petite interview du maitre qui s'exprime sur le sujet du livre et décrit le déroulement de la bataille (très utile pour les gens qui ont une pensée dans l'espace aussi déplorable que la mienne):
http://www.ina.fr/video/I05299166
Et enfin je vous laisse avec une petite citation extraite de son portrait de Charles Quint, parce qu'on n'est pas de bois:
"Il est bien obligé d'avoir une cour, comme tout le monde, mais c'est surtout dans l'arrière-boutique qu'il se tient. Enfin, au lieu d'être constamment remué par le ressort des Amadis, des Phoebus et autres Roland furieux, il considère qu'il y a un "avant" et un "après fortune faite", et il est le premier empereur qui prend sa retraite à cinquante-cinq ans, comme un douanier. Il allègue sa mauvaise santé, mais il a toujours eu une mauvaise santé. La vérité, c'est qu'il veut son pavillon en banlieue, son bassin en rocaille et son "chien méchant". C'est tout juste si, en raison de l'époque et de sont goût resté morbide, il transpose son désir de fauteuil à oreillette dans le paysage bourru et baroque de Yuste."
[Laisse tomber le micro...]