Si nombreux sont les romans à s’être penchés sur les soulèvements menés contre la Révolution française au nom des idéaux catholiques et monarchistes (la Vendée en étant évidemment l’exemple paradigmatique), plus rares sont ceux à s’être consacrés aux rébellions internes au camp républicain, qui ne furent pas moins durement réprimées. Le Fleuve guillotine, en s’intéressant au sort des Lyonnais, accusés de fédéralisme et massacrés à l’issue d’un long siège, trouve donc un excellent sujet littéraire.
Armé de connaissances historiques pointues et d’un sens très poussé du détail, Antoine de Meaux nous livre un récit dont le réalisme nous captive et nous prend à la gorge. S’ouvrant avec l’épisode brutal de la prise des Tuileries, dont il offre sans doute la relation la plus crue que la littérature nous ait donnée jusqu’ici, le roman nous emmène ensuite dans la région du Forez, suivant une poignée d’enfants du pays qui, tous réunis au début dans une diligence, prendront parfois des itinéraires diamétralement opposés et finiront par s’entredétruire. Rarement l’horreur de ce que peut être une guerre civile n’aura été peinte avec des couleurs si vives, et l’auteur excelle à décrire ces Lyonnais qui, d’abord insouciants et ne sachant prendre la mesure des menaces qui pèsent sur eux, passent en quelques semaines des chamailleries de clubs à la guerre bien réelle, de l’indécision au martyre.
Derrière une écriture parfois presque documentaire surgit une transcendance, celle de l’histoire en marche, toujours impitoyable. « En ces années irréversibles, la France, bouche bée, se donnait en spectacle à elle-même. Et les vieux patronymes des profondeurs du pays, pour la dernière fois peut-être, brillaient comme dans la lumière du soleil. » Un vétéran de la guerre d’Amérique, un prêtre réfractaire, une comtesse esseulée, un jeune soldat téméraire constituent quelques uns des personnages de ce drame que traversent aussi des figures historiques telles que Couthon, « ce disciple des stoïciens qui ne craignait pas la mort », ou Dubois-Crancé, qui compare Lyon à Sodome et Gomorrhe. De bataille en bataille, de Meaux nous raconte la revanche sanglante des paysans jacobins traquant leurs ennemis au cours de véritables battues dans les campagnes jusqu’à la prise de la cité sous une « forêt de piques aux trois couleurs de la raison émancipatrice », détruite comme une nouvelle Carthage et rebaptisée Ville-Affranchie. Un roman historique de haute tenue qui subjugue par sa violence.