Le français n'existe pas ... Voilà bien un titre qui, compris au sens littéral, est surprenant. Mais dans le fond des choses, ce livre cherche à donner une autre vision des choses sur le langage.

Comme disait Serge Gainsbourg dans un entretien avec Bernard Pivot (d'ailleurs, les deux personnages figurent dans le livre), il faut "secouer les gens [...] pour qu'il y ait quelque chose qui se passe".

On l'aura compris, un style provocateur, mais une volonté de donner du sens à l'usage de la langue.

Plein d'exemples sont cités à ce propos. Les détails ne manquent pas dans ce livre.

Par exemple, il dénonce le fâcheux snob de remplacer "punchline" par "chute brillante". Notre langue se doit d'avoir un je-ne-sais-quoi de poésie, d'innocence ou d'élitisme ? Les auteurs ont rappelé à un autre endroit du livre que le français est né dans les bordels. Ca c'est fait.

Moralité : le premier enjeu du langage est de se faire comprendre.

Qui donc crée ou maintient les problèmes ?

L'académie française, qui est essentiellement composée de politiciens. Avec son décalage par rapport au monde réel, pas étonnant qu'elle se fasse massacrer dans ce bouquin. J'ai personnellement adoré la punchline des auteurs en page 36 : "demander à l'académie française son avis sur la féminisation, c'est un peu comme demander à Philip Morris son avis sur les traitements du cancer du poumon".

Par contre, en ce qui concerne le chapitre "Ta mère, Bescherelle ta mère", je n'irais pas jusqu'à traiter de "connards" les grammarnazis ou les tamèrebescherelle. Non, ce sont des ignorants, c'est pas pareil ! Eux aussi sont laminés, car en orthographe, quoi qu'on fasse, soit on ânonne bêtement les règles, soit on raille ceux qui font des fautes (on se croit dans le rail). Bref. Mais en vérité je vous dis, il est difficile de s'asseoir à la droite du zéro faute en langue française.

Nous sommes tous pêcheurs, ou moutons de panurge, au choix.

Le livre n'épargne pas la question de l'accord du participe passé, contre-intuitif : habituellement, on n'accorde pas un verbe en genre. Bien des bases en grammaire sont compliquées à être intégrées par les élèves...

D'ailleurs, le livre ne parle pas des dyslexiques (grosso-modo 5% des élèves, c'est pas rien, c'est un par classe !). Ils sont au coeur du sujet et font pourtant l'enjeu de la remise en question de notre système orthographique.

Quand une étude montre que les langues transparentes amoindrissent la dyslexie, le français continue à faire montre de ses fallacieux ph, th, y, pluriels en -x, le tout ne servant à rien. Les auteurs prennent grand soin d'abattre tout argument étymologique ou esthétique prouvant le bien-fondé de ces signes. Comme eux et comme certains chercheurs en orthographe, je suis convaincu qu'il devrait y avoir une bonne fois pour toutes une grande réforme rendant facultatives ces particularités orthographiques. Facultatives, pas éradiquées. Car à la manière des auteurs, on va être modérés (imaginons qu'on ne pouvait plus utiliser le franc, dès l'avènement de l'euro).

Le livre ne parle pas non plus de l'enseignement de l'orthographe : celui-ci peut se remettre en question, revisité pour donner du sens (notamment pour lutter contre les inégalités). On peut ainsi considérer la copie d'un élève dont l'écrit est profond, saisissant, quoique bourré d'erreurs : l'important, c'est le fond, plus que la forme, n'en déplaise aux puristes. Mais encore une fois, il faut nuancer : la finalité d'une langue est de se faire comprendre, certes. Les élèves doivent quand même saisir les éléments de grammaire, notamment les fonctions grammaticales (le rôle du verbe par exemple), pour les réinvestir dans leur production écrite.

D'ailleurs, si ce livre exprime de grandes idées, il lui manque les applications concrètes, en ce qui concerne l'éducation. Autrement dit, il a développé le pourquoi, faute du comment. Parce que, vu que c'est l'école qui est en grande partie responsable de la transmission des normes sociales, au final, on espèrerait arriver à une proposition de réforme du programme scolaire. Là au moins, il montrerait que la politique devrait un peu moins se la ramener.

Somme toute, c'est un livre original et susceptible d'ouvrir la curiosité à qui veut bien s'y intéresser. Les auteurs tentent à chaque coup d'argumenter, souvent avec des analogies, qui sont elles-mêmes chargées d'humour.

Si cet ouvrage éclaire, il devrait à son tour être davantage mis en lumière.

Moustache123
9
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le 12 nov. 2023

Modifiée

le 9 nov. 2024

Critique lue 14 fois

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