Ce poème raconte l'histoire de ta race, comment tes ancêtres sont nés, comment ils ont grandi, comment se déroula une très vaste guerre. C'est le grand poème du monde. Si tu l'écoutes attentivement, à la fin tu seras un autre, car c'est une histoire pure et totale, qui efface les fautes, qui avive l'intelligence et qui donne une longue vie.
Ainsi démarre l'adaptation, par Jean-Claude Carrière, d'un ouvrage millénaire, une somme de sagesse née sur les rives du Gange aux alentours du IVème siècle avant notre ère. Véritable épopée littéraire puis éditoriale, Le Mahabharata propose de raconter l'histoire de l'Humanité, depuis son commencement jusqu'à sa possible fin.
Rien que ça.
Le récit démarre par la rencontre d'un jeune enfant avec un ermite-conteur, Vyasa, qui va lui narrer la terrible histoire de la civilisation humaine. Ganesha (le dieu-éléphant) se fera scribe et les trois personnages vont peu à peu prendre une part active au récit, comme si celui-ci se faisait sous leurs yeux. Ce méta-texte, qui dit parfaitement le côté démiurgique du poète, m'a paru d'une grande modernité. Rien n'est écrit par avance, tout s'écrit dans le temps : c'est la voix de l'homme et ses actes qui façonnent les contours de son existence.
Difficile de résumer un livre aussi total, aussi ancien et pourtant aussi incroyablement clairvoyant sur l'Homme. A la croisée de la mythologie, du conte, de la philosophie et de la religion, de l'hindouisme, du bouddhisme, évoquant à grands traits les grandes figures spirituelles à venir, Le Mahabharata nous parle avant tout, surtout, de la violence de l'homme, source de tous ses maux. Cette violence s'accompagne (ou naît) d'une soif inextinguible de pouvoir et de domination qui rend impossible tout sage discernement - et toute paix.
Guerres fratricides, corps déchiquetés par des armes incontrôlables, terres fendues, dévastation, escalade des vengeances, parents pleurant leurs enfants morts à la guerre, hurlant leur douleur et leur soif de revanche, fureurs insatiables, paysages rendus à la sauvagerie, cruauté généralisée : voilà, en quelques mots, un bon résumé de l'Histoire de l'Humanité telle que la narre ce livre bouleversant, d'une violence insoutenable et pourtant jamais manichéen.
Nous avions tout en main : un ciel à l'écoute, prompt à nous conseiller sagement, des animaux avec lesquels communiquer, une Terre prodigue, de fraîches forêts où nous ressourcer, des femmes fertiles, des hommes forts et, surtout, un esprit puissant capable du meilleur. Nous en avons fait, bien souvent, le pire.
En juin 2016, en l'espace de deux jours, des démons déguisés en hommes ont fait couler des sangs innocents. Gratuitement. Au nom de rien. Par pure bêtise, par ignorance. Le Mahabharata dirait qu'il s'agit là, une nouvelle fois, du Dharma bafoué, cette loi universelle maintenant l'ordre du monde. L'horreur qui engendre la terreur, la méfiance, la rancœur, le ressentiment. Une spirale négative entraînant le monde vers sa perte.
Je pensais trouver des réponses dans ce livre si riche, mais les auteurs ne sont que des hommes, conscients des limites de leur savoir. Tentant de nous éclairer, pourtant, sur le chemin qu'il conviendrait que l'Homme emprunte s'il veut survivre ici-bas.
- Quel est ce combat terrible que tu annonces ?
- Un combat universel et impitoyable, inadmissible pour l'intelligence. Les héros mourront sans savoir pourquoi.
- Qui sera le vainqueur ?
- Je ne sais pas, car tout dépend du cœur des hommes et je n'y vois pas clairement.
Même pour Dieu, l'homme reste un mystère.
Un livre à relire, à garder, à annoter, à compulser. Il finira bien par en jaillir des vérités.