Le maniérisme, aujourd’hui encore, reste un mouvement artistique souvent ignoré, voire méprisé – son nom même semble insinuer qu’il est trop maniéré, chichiteux. Ou alors, et cela depuis Vasari lui-même, on en donne une vision sensationnaliste, mettant l’accent sur les bizarreries de cet art et les frasques des artistes maniéristes, et liant ainsi leur décadence morale à la décadence esthétique de l’art de la Renaissance qu’on a souvent vue dans leurs œuvres.
Au contraire, ce livre refuse l’anecdote et mentionne à peine la biographie des artistes, au point qu’on ne connaît pas beaucoup mieux leurs noms après la lecture ! Mais il s’attache à montrer à partir de quels principes, philosophiques et artistiques, ces artistes ont construit leur œuvre. Ainsi, Patricia Falguières montre par exemple l’importance de la philosophie aristotélicienne, ou celle de l’étonnement qui doit conduire au questionnement, et donc au savoir. L’art du concetto n’est donc pas vaine recherche de sophistication et d’originalité. Le maniérisme repose aussi sur un nouveau rapport à la nature : il n’y a pas d’opposition entre nature et culture, comme cela se voit dans l’aménagement de jardins spectaculaires où la beauté de la nature se conjugue avec l’ingéniosité technique – tout particulièrement les jets d’eau. De plus, l’injonction à imiter la nature n’est plus vue comme une restriction imposée à l’art, mais plutôt comme une invitation à reproduire l’exubérance créatrice de la nature. Enfin, l’autrice montre comment l’esthétique maniériste doit peut-être avant tout se voir comme celle d’un art décoratif, destiné à orner, par les mêmes procédés, aussi bien un objet précieux que les murs immenses d’un palais. Se crée alors tout un jeu entre le sujet et l’ornement ; dans le maniérisme, c’est souvent l’ornement qui devient le sujet ! C’est d’ailleurs là que l’autrice aurait pu invoquer davantage Vasari, qui dans ses Vies mentionne sans cesse quels détails dans une peinture méritent d’être reproduits, au point qu’on a l’impression que la composition totale disparaît.
Cela n'en reste pas moins un essai lumineux mais exigeant, qui requiert, me semble-t-il, quelques connaissances préalables, notamment sur Fontainebleau, sur Vasari et les noms les plus célèbres du courant.