Jean-Pierre Boudine n’est pas un écrivain, cela se ressent quelque peu à lecture et au style plutôt formel et efficace sans recherche stylistique, ce qui n’enlève rien ni à l’impact ni à l’intérêt du récit, et ça l’allège même finalement d’une volonté de ne raconter qu’une fiction totale.
Non, l’auteur est un mathématicien, professeur, universitaire et chercheur. Un vrai de vrai, de ceux qui arrivent à parler et réfléchir avec des chiffres. Il semble par ailleurs dans son parcours (rempli) avoir toujours eu une volonté de diffusion et de facilitation de l’apprentissage des mathématiques. Homme éclectique et cultivé, il est dès lors moins intriguant d’avoir comme titre Le Paradoxe de Fermi !
En 1950 le physicien, Enrico Fermi a postulé ce Paradoxe : « S’il y avait des civilisations extraterrestres, leurs représentants devraient être déjà chez nous, ou avoir prit contact avec nous. Où sont-ils donc ? ». La volonté sous-jacente à cette formulation était de réfléchir et de formuler des hypothèses.
Cette question est d’autant plus légitime aujourd’hui, dans la mesure où les récentes découvertes en astrophysique tendent à faire tomber les derniers bastions anthropocentriques de notre réflexion. Non, notre système solaire, ou la planète Terre, en tant que corps astraux ne sont pas une denrée rare dans notre univers, les découvertes d’étoiles aux systèmes planétaires proche de notre configuration avec des planètes telluriques situées dans des zones dites habitables (ni trop près ni trop loin de l’étoile) sont légions et tendent à prouver que notre situation n’est pas si exceptionnelle que nous aimerions le croire, et donc, peut-être la vie en tant que telle n’est-elle ni un accident, ni un hasard, ni un dessin intelligent, mais peut-être est-elle juste partout.

Voilà pour l’instant pour le Paradoxe !


Robert Poinsot est un homme en survivance d’une civilisation déjà morte. Il décide de prendre le crayon et de noter dans les cahiers qu’il a récupérés de-ci-delà, une partie de sa vie, mais surtout d’y relater son expérience, le pourquoi et le comment de sa situation actuelle.
La crise monétaire et financière du 17 février 2022 a mis à genou notre civilisation, et les événements des quelques années qui ont suivis, l’on jetée à terre et presque achevée ; a sa connaissance, Robert est peut-être l’un des derniers hommes encore en vie, mais ce n’est qu’une hypothèse, vu qu’il vit en reclu depuis quelques temps dans sa grotte des Alpes hongroises. Le quotidien y est une lutte de chaque instant, et sa précarité n’a d’égale que sa fatigue mentale, l’épuisement d’une vie en quelques années. Mais son esprit sur le déclin ne s’est pas encore totalement résigné, et ce journal qu’il entame est peut-être l’une des dernières tentatives d’apporter un témoignage, de laisser une trace sur ce qu’il est advenu de la civilisation, de recouvrer une part de son humanité.


Le récit est construit comme un journal alternant entre le récit de sa situation personnelle, de sa vie d’après «l’apocalypse », mais aussi sur les circonstances, le comment et le pourquoi, d’une humanité sur la voie de l’extinction. Par moment le texte se fait manuel de survie, et Robert y relate ses propres expériences et ses méthodes, mais aussi les tentatives de reconstruction de communautés auxquelles il a participées, ou les ravages causés par les bandes de pillards (mettant en évidence, un schéma proche du proie/prédateur). Il décrit la rapide déliquescence d’une civilisation de la technologie et de la communication telle un jeu de dominos, la disparition d’une structure éthérée comme celle du système financier mondial, entraînant en conséquence la disparition des échanges, puis des ressources alimentaires, des ressources d’énergies, etc…la perte finale étant celle d’une multitude de savoir-faire indispensables au fonctionnement d’une civilisation globale comme la notre, et donc une longue agonie.


Je ne peux m’empêcher de penser que ce livre est au final uniquement un prétexte pour mettre en valeur le questionnement du Paradoxe de Fermi, car ce dernier (qui s’étale sur quelques chapitres, les autres étant d’une certaine manière une mise en bouche) entraîne une réflexion sur la condition humaine, la fugacité du temps humain (en rapport au temps cosmique), et donc la faiblesse inévitable et la mort programmée de nos civilisations, la notre n’échappera pas à ce sort. Si nous n’avons pas encore eu d’écho des civilisations de l’univers, c’est peut-être parce qu’inévitablement chaque civilisation porte en-elle les germes de sa destruction (ce que les scientifiques postulent comme "Le Grand Filtre"), et qu’à l’échelle du temps cosmique une civilisation ne dure pas assez longtemps pour que son existence soit détecté, eut égard aussi au temps que des communications peuvent mettre pour nous parvenir.


Ce qui ressort de ce livre certes sombre et peu enjoué, et de cette longue réflexion via le Paradoxe de Fermi (et le choix d’une des réponses, la plus pessimiste) mais aussi la description du monde post 2022, c’est une sensation d’isolement, de désespoir, et de crépuscule d’un monde agonisant, Robert est un homme sur la fin, et rien dans le récit ne laisse supposer un Happy-End. Certes tout ceci n’est pas joyeux, mais le texte est lui bigrement intéressant. Il exhale de cet ouvrage un parfum de réalisme qui fait froid dans le dos, et pose des questions nécessaires à notre remise en cause, au moins personnelle, sinon en tant qu’espèce. Comme quoi il n’est pas besoin de mettre des zombies ou des extraterrestres pour créer l’élément peur et expliquer la fin de notre monde…nous nous débrouillons fort bien tout seul.

Cosmoclems
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le 20 mars 2015

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