Putain.
Faudrait d’abord poser le décor, la voûte, avec quelques notes d’une guitare accordée de justesse pour un blues en Fa qui tabasse.
Juste deux ou trois accords, pas plus.
12 mesures, 4 temps.
Un machin qui tourne sans prétention parce qu’au fond, ça va mal, sors le chichon : les anges se cachent toujours dans la fumée.
Toi-même tu sais.
Faudrait que ça parle d’apocalypse pour ton p’tit cœur, de dévastation à l’échelle de toi, mais avec délicatesse, comme des caresses déguisées en mots. Je ne sais pas si tu vois le concept ?
Putain, faudrait un maudit blues.
Oh yeah hey !
Coulé par le désespoir, t’as cru être plus malin, mais la vie, l’ami, quand vacillent les certitudes, elle te fout les menottes. Elle est pas rigolote.
Endeuillé, tu dérives aux confins du néant, gréements qui craquent, d’odieuses agapes qui pourrissent sur ton palier ; perdu que tu es dans la nature humaine, cousin.
T’as zappé ta place, ton rang. T’as fait un petit feu avec feu ton orgueil.
Faudrait une manière d’antidote, de stupeur. Une pommade, un onguent. Pourvu que tu tombes pas sur un placebo, un simulacre.
Tu portais beau, maintenant tu cherches un baume.
Si t’es du genre à pas y toucher et si tu veux que ça sonne, pour bien faire, il te faudrait un médiator pour gratter les rails, frangin.
Faudrait que le mood soit pas trop lent mais attention : faut pas que ça se danse.
Une larme figée au coin de l’œil, une pépite, faut que ça sonne un brin mélancolique pour virer l’épine que t’as dans l’échine.
Oh boy !
Ça parlerait d’une citadelle, un château sans murailles. Loin, si loin des entourloupes et des trompettes de Babylone.
Dans la dernière vallée, posée en son fin fond, tout près d’une rivière d’eau pure, là où le lion et la perruche vivent en liberté.
On étancherait nos soifs à en devenir transparents.
Épuisés par un trop long voyage, là, nous sèmerions au vent nos graines, des pousses d’ivresse et de vérité.
Assis en tailleur, comme des chinois, on contemplerait, pas peu fiers, cette terre fécondée, chauffée par le soleil, arrosée par l’eau qui descend du ciel et nos gouttes de sueur mélangées, frangine.
Nananère !
Juste deux ou trois accords, pas plus.
Un truc qu’aurait du chien.
Et d’une voix de rocaille, éructer tes pacotilles pour de vrai, oublier la colère ennemie et ses ruisseaux amers.
Tenir la note funambule comme si tu marchais sur la corde que t’avais, jadis, nouée autour de ton cou misérable.
Se molester gentiment. Sans répit.
Pas panser la blessure, la laisser respirer, à l’air libre.
Hurler comme hurle le loup, la même mélodie, juste après le dernier refrain pour qu’en creux, toi aussi, tu sentes la pulsation jusque dans tes yeux.
En préambule à quand ça va piquer.
Hou hou houuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu hou hou houuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu
Si t’as un copain ou une copine qui serait plutôt soliste vu que toi, t’es du genre rythmique, niveau métronome, invite-le, invite-la, à poser un solo d’harmonica sur quelques mesures que tu jetteras en pâture avec ce qu’il faut de désinvolture.
Ou de mandoline, tiens.
Ça change la mandoline, ça tutoie les anges.
Et puis, tel le prince de la pertinence et du feeling conjugués, parce qu’il faut que chuinte le mélancolisme, vers la fin, tu balanceras des arpèges pour parachever ta plainte.
Fissurer l’horizon même si ça coûte, les ténèbres en biais et voir, s’il se peut, les premiers clairs d’une aube, ces lueurs du levant, que tu croyais oubliées.
Toi, t’es un roseau déguisé en chêne, frérot, au diable les embellies tant que t’as le mojo.
Le blues, c’est le clin d’œil du palpitant.
Allez zou, j’tape du pied, deux fois trois coups, en sifflotant.
Ad libitum.