Du Primorié à la Mandchourie et pendant dix mois, en faisant en petit tour en Corée, John Vaillant nous raconte l’extrême-orient russe et la destinée d’hommes face au Tigre de l’amour, roi dans sa demeure, solitaire et rancunier.
Pourquoi un tigre qui évite l’homme peut se retourner contre lui ? Cet animal majestueux s’inscrit dans la mémoire collective et reste protecteur de vos vies, tant que vous le respecterez.
Le Tigre sera notre héros pour une vengeance sanglante.
Vaillant s’entoure d’un certain nombre d’appuis et d’experts et livre une chronique étonnante tant dans sa construction et sa narration que dans l’importance et la modernité du message.
Tiré du documentaire de Sasha Snow Conflict Tiger de 2004, Vaillant réussi à merveille à lier les faits à l’aventure et... au mythe.
Un melting pot de documentation, d’investigation, de légendes et de thriller, ponctué d’interviews de témoins. Un travail de recherche conséquent et de références qui au contraire de rebuter, nous plongent complètement dans un genre suspense pour cet environnement aussi grandiose qu’hostile, pointant les enjeux et les conflits entre l'homme et son milieu naturel.
Nous suivrons tous les personnages impliqués dans ce fait divers de 1997 lorsque le Tigre deviendra "tout à coup" un mangeur d’hommes, notamment Yuri Trush, chef de l’Inspection du Tigre qui participa à la traque, désemparé entre son rôle de protecteur de l’espèce et le devoir d’assurer la sécurité des habitants.
L’auteur n’hésite pas aux retours en arrière nombreux, avec les contextes historiques respectifs pour nous parler d’un nouveau personnage (qu'il soit témoin ou référence). On reviendra sur sa vie d’une part (certains aux destinées tragiques) et au passé plus ou moins lointain (les peintures de Lascaux, la guerre de 40, l’idéologie communiste dévastatrice, les guerres de territoires et autres batailles cosaques... jusqu’à revenir à nos jours).
Références également à des auteurs tels que Vladimir Arseniev (Dersou Ouzala), et autres chercheurs ayant contribué notamment aux premières notions d’éthologie pour une meilleure compréhension de l’animal et de l’importance de la communication. Un état des lieux écologique, économique, anthropologique et sociologique, décrivant un environnement d’autant plus fragile que soumis à l’homme et à son aptitude à tout saccager. La Chine et sa forte demande, l’abattage illégal, mais aussi la spoliation de toutes les autres ressources du territoire. L’impuissance et le laisser-faire des autorités pour un constat des plus clairs.
Le dénuement et le danger permet aussi à l'auteur de ne pas porter de jugement sur ces hommes oubliés d’un gouvernement russe en pleine déconfiture qui braconnent pour leur survie.
En compagnie du silence, de la nuit et d’un -40C°, Vaillant crée une ambiance de tous les dangers particulièrement prenante, un humanisme exacerbé et une écriture si fluide et fortement imagée que l’ouvrage est lu dans la foulée.
Cette immense forêt entourée de glace, inhospitalière et pourtant fascinante, abrite encore le sanglier, l’élan, le loup et l’ours brun et aura vu la création de réserves naturelles de Sikhote-Aline et Lazo, pour la sauvegarde du tigre, mais leurs espaces sont de plus en plus réduits, laissant la modernité envahir la Taïga.
La région du Primorié (extrémité sud est entre la Chine et la mer du Japon) compte quelques 450 spécimens du Tigre de l’amour (qui tient son nom du premier fleuve de Sibérie l’amur), une des rares espèces encore existantes.
Un drame de la coexistence où l'homme sera toujours le maître des lieux.
John Vaillant collabore à divers journaux et revues, comme The New Yorker, The Atlantic, National Geographic.
https://youtu.be/9dcW-EvZjic
Ne blâmez pas l’homme : ses ancêtres aux abois l’on fait ce qu’il est : les autres singes anthropoîdes étaient à l’abri dans la grand forêt vierge du Sud et ont à peine évolué en un million d’années : mais la race des hommes fut façonnée par la violence et la douleur... une blessure s’ouvrit dans son cerveau quand la vie devint trop dure, et ne s’est jamais refermée. C’est là qu’il apprit la religion tremblante et le sacrifice du sang.
La qu’il apprit à massacrer les bêtes, à tuer ses semblables et à haïr le monde.
Robinson Jeffers (1887-1962) texte 1950.