Un tigre mangeur d’hommes qui traque les chasseurs afin d’assouvir sa vengeance… Ceci n’est pas une œuvre de fiction, mais bien un livre documentaire, une enquête sur un fait réel survenu en Sibérie en 1997.
L'Extrême-Orient russe, avec ses forêts boréales et ses froids extrêmes, est le dernier refuge du tigre de l'Amour – plus connu en tant que tigre de Sibérie. Mais ce grand fauve n’est pas le seul à chasser sur le territoire de la « Mère Taïga ». Dans ces confins du monde, quelques villages de braconniers tentent de survivre par leurs propres moyens à l’implosion de l’URSS. Ici tout habitant mâle possède un fusil et a recours au gibier pour se nourrir. L’homme et le tigre peuvent-ils alors continuer à cohabiter sans bouleverser des équilibres millénaires ? Pas si sûr, d’autant plus que la proximité de la frontière chinoise augmente la demande en tigres – leurs peaux alimentent un trafic illégal, tout comme leurs crocs, leurs os et autres organes qui sont des ingrédients de choix pour la pharmacopée chinoise traditionnelle. La Russie, pourtant en plein marasme économique, a un grand rôle à jouer dans la préservation de l’espèce. C’est entre autres la mission de l’ « Inspection tigre », une brigade spéciale qui protège ces félins et règle les problèmes liés à leur présence près des villages. Mais comment réagir face à un prédateur qui s’en prend désormais aux humains ? Plusieurs villageois sont ainsi retrouvés décapités, mutilés et même partiellement dévorés par un mystérieux tigre « cannibale ». Dès lors, une traque au fauve s’organise avec les faibles moyens locaux : une opération périlleuse et surprenante que les chasseurs ne pourront plus jamais oublier.
Dix ans après cette série de meurtres, le journaliste canadien John Vaillant revient sur les lieux pour mener l’enquête. Son but est de comprendre pourquoi un animal qui jusqu’à présent évitait l’homme s’en prend subitement à lui avec une obstination féroce. Pour élucider cette énigme, Vaillant en appelle aux témoignages des principaux acteurs du drame, comme Iouri Trouch, chef de l’Inspection du tigre. Ce faisant, le journaliste va s’intéresser à la vie du tigre, à ses caractéristiques, à son comportement, en s’appuyant tant sur des travaux savants que sur l’expérience des hommes de terrain. Vaillant aborde aussi l’histoire russe qui permet d’éclairer le rapport des hommes à leur environnement, notamment en Sibérie.
Ce livre, récompensé par le Prix Nicolas Bouvier, est donc intéressant à plus d’un titre. Il se lit comme un roman d’aventures avec pour cadre une région sauvage, mystérieuse et inhospitalière. Mais d’autres y verront une enquête policière avec un félin dans le rôle du tueur. Bien que cet ouvrage soit avant tout une somme d’informations et d’anecdotes sur le comportement du tigre, l’auteur s’intéresse aussi au contexte socio-économique de la région et dresse un état des lieux de la Sibérie post-communiste pour mieux cerner son sujet. Au final, John Vaillant soulève des problèmes d’actualité en cette période de prise de conscience écologique. L’homme moderne doit préserver un certain équilibre entre les espèces sous peine de voir des écosystèmes disparaître. A trop défier la Nature, on risque de s’attirer ses foudres.
J’ai trouvé ce livre instructif, voire passionnant. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une œuvre documentaire qui, en tant que telle, peut souffrir de quelques longueurs; l’accumulation de témoignages et de références scientifiques ralentit parfois l’action. Mais une fois le livre achevé, il marque durablement les esprits. On en ressort avec une meilleure connaissance du tigre et une fascination accrue pour le monde de la taïga.