Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome à destination des enfants de 4 ou 5 ans, en dernière année de maternelle, ou même en début de CP.
Tout commence par une illustration en pleine page montrant Polo sortant de son arbre qui occupe les trois quarts d'une île déserte. Il s'agit bien sûr d'un arbre doté d'une porte, d'une fenêtre et d'un petit tuyau de cheminée, sans oublier un pot de fleur pour décorer et une corde tendue à partir d'un piquet. Polo retourne à l'intérieur de sa maison pour prendre son sac à dos, et après réflexion son parapluie. Par un soleil radieux, il ouvre ce dernier dès le pas de porte franchi pour s'en servir comme de contrepoids alors qu'il fait le funambule sur le fil tendu. Après plusieurs pas effectués avec un équilibre précaire, Polo arrive à un endroit où la corde prend la forme de marches d'escalier, toujours au dessus de la mer calme et étale. Il monte sans plus craindre de perdre l'équilibre jusqu'à arriver au dessus des nuages. Là il se rend compte que la corde s'incurve et il la descend comme s'il faisait du toboggan... pour atterrir sur les fesses dans un nuage bien douillet, face à un oiseau très surpris. Et le voyage reprend à bord de ce nuage volant, alors qu'il ne s'agit que de la quatrième page de cette histoire qui en compte 70.
Alors que votre enfant sent que l'apprentissage de la lecture n'est plus très loin, ou qu'il vient juste de commencer cet apprentissage, il peut ressentir une certaine frustration face à la longueur de cet apprentissage qui ne lui permet pas de lire tout de suite. La lecture de cette bande dessinée sans texte peut constituer une révélation, et un apprentissage d'un autre ordre.
Régis Faller (scénario, dessins et couleurs) a réalisé une histoire exceptionnelle, immédiatement parlante pour un enfant, d'une poésie délicate et délicieuse, à haute teneur en divertissement. Initialement, cette histoire est parue par groupe de 3 ou 4 pages dans le magazine "Belles histoires" et chaque groupe contient une quantité impressionnante de péripéties. Mis bout à bout, ils forment une odyssée d'une magnitude imposante, surtout pour un enfant de 5/6 ans. Tout au long de ces pages, l'enfant pourra repérer de lui-même des éléments qui lui sont familiers tels que faire du toboggan, papoter avec un copain, manger un casse-croûte, jouer de la musique, gonfler un ballon, etc. Derrière ce personnage évoquant à la fois un enfant et un doudou rassurant, le jeune lecteur identifie des activités quotidiennes immédiatement évocatrices de son expérience de tous les jours. Cette forme de familiarité lui permet de reprendre pied entre 2 événements étonnants ou magiques. R. Faller a l'art et la manière de dessiner ces instants avec des images très faciles à lire, à base de formes simplifiées toujours évocatrices, en utilisant des couleurs gaies, sans être criardes.
Vous voilà donc confortablement installé avec votre enfant à vos cotés pour lui faire la lecture, car pour lui le déchiffrage d'une bande dessinée passe également par un premier apprentissage. Et finalement la lecture de cette BD sans texte demande au parent de raconter l'histoire à haute voix en montrant l'élément narratif essentiel à l'histoire dans chaque case, et en verbalisant le lien logique qui unit l'action d'une case à celle de la suivante. Vous voyez littéralement le cerveau de votre enfant en action, en train de constater la logique qui unit une case à l'autre, et découvrir les règles de ce média. C'est d'autant plus agréable qu'il est alors possible de lui poser des questions au gré de vos envies sur ce qui se passe, sur les actions de Polo, sur la possibilité de faire la même chose que lui, sur un objet ou un personnage dessiné. Cette histoire se prête aussi bien à une lecture classique réalisée par l'adulte, qu'à une lecture participative où l'enfant peut apporter son interprétation des images. Lorsque la lecture est finie, l'enfant reste avec son livre et va chercher à se raconter lui-même l'histoire le conduisant à utiliser le langage pour se décrire ce qui est dessiné. En fonction de son éveil, il pourra vous demander de lui relire, ou même se mettre à vous faire la lecture (situation éminemment savoureuse d'inversion des rôles). Dans tous les cas, le format de la bande dessinée permet également de gérer le rythme de lecture en fonction des envies de l'enfant, ou du parent souhaitant détailler une case. Les dessins constituent un repère incomparable, assurant de ne jamais perdre le fil de l'histoire.
En tant qu'adulte, il vous sera également possible d'apprécier les qualités de cette bande dessinée pour enfants à d'autres niveaux. Pour commencer, l'imagination de Régis Faller semble sans limite. Il compose une histoire où le merveilleux s'invite à chaque page avec une idée nouvelle, où les sentiments positifs priment (pas de chantage psychologique à l'angoisse ou à la culpabilité), où Polo est heureux de découvrir le monde. Et derrière un style graphique simple et rond adapté à de jeunes enfants, il utilise les possibilités spécifiques de la bande dessinée pour décrire des situations impossibles à faire passer dans un autre mode d'expression. Lorsqu'il dessine la corde tendue à partir de l'île de Polo, il utilise un trait rectiligne, se déformant légèrement sous le poids de Polo et solidement accroché à un pieu. 2 cases plus loin, il n'y a plus que Polo sur ce trait, au dessus de l'eau sans repère à gauche, ni à droite, ce qui lui permet dans la case d'après de faire prendre à ce trait la forme d'un escalier en laissant au lecteur le soin de lier ce trait à celui de la corde de la case d'avant. Il n'y a donc aucun hiatus visuel, et pourtant un effet magique garanti. 2 pages après, Polo sort un bol de son sac et s'en sert pour prendre une portion de nuage sur lequel il est assis, afin de se nourrir. Là encore le lecteur fournit de lui-même l'explication que Polo est assis sur une partie solide, et que les bords sont plus friables. Ce tome est rempli de trouvailles graphiques de cet ordre. Il y a encore Polo et un ami montant le long d'une échelle qui traverse les nuages et leur permet d'accéder à un corps céleste où ils se retrouvent à marcher dessinés vers le bas puisqu'ils sont arrivés sur le sol qui est en haut de l'image. Faller n'a plus alors qu'à les représenter suivant la courbure du satellite pour qu'à la fin de la page ils se retrouvent en position normale : les pieds en bas de la case, et la tête vers le haut.
Cette bande dessinée sans texte pour enfant propose un voyage merveilleux et fantastique, propice à l'apprentissage de l'enfant, et aux échanges entre enfant et parent, une réussite à tous les niveaux.