Quel statut ont les images au Moyen Âge et comment passe-t-on d’une production d’images strictement limitée au cadre religieux à « l’invention du tableau » à la Renaissance, du titre d’un livre de Hans Belting ? Vaste sujet que Jean-Claude Schmitt aborde non pas en historien de l’art mais en historien des sensibilités et des représentations culturelles.
Réunissant onze études qui reflètent près de quinze ans de recherches, ce gros volume commence par une longue et passionnante mise au point sur le statut de l’image sacrée au début du Moyen Âge : la querelle est avant tout théologique et oppose radicalement plusieurs visions de l’icône, notamment entre Orient et Occident, créant des dissensions qui participent à la rupture entre les deux églises en 1054. Après la période d’iconoclasme du VIIIe-IXe siècle, l’église orientale met en place un système de pensée qui fait de l’icône une émanation du sacré (l’icône suppose un « prototype », comme le portrait de la Vierge peint par Saint Luc, qui en fait une image issue directement de Dieu, ou se présente carrément comme « acheiropoïète », c’est-à-dire d’origine inexpliquée et non conçue par un homme), tandis que l’église occidentale identifie l’image comme un simple « aide-mémoire » pour tous ceux qui, illettrés, n’ont pas accès à l’Ecriture. Dans les deux cas, la reconnaissance de l’image comme support du culte nécessite de déployer de profondes subtilités pour écarter le péril de l’idolâtrie, hantise des autorités chrétiennes qui y voient une rémanence du paganisme…
Tout l’enjeu est de savoir comment, après cette période de méfiance, l’Eglise laisse de plus en plus de marge aux artistes pour représenter le sacré, et quel rôle ont joué les représentations de Jésus et des saints (dont l’image corporelle, au travers des reliquaires notamment, crée à nouveau une ambiguïté forte entre dévotion et idolâtrie) dans la naissance d’un vocabulaire graphique qui se détache de la contrainte de l’Ecriture.
L'écriture, justement, de Jean-Claude Schmitt n'est pas toujours des plus aisées et le livre souffre d'être une compilation de textes conçus dans des contextes différents : l'ensemble est clairement en dents de scie, et se termine de manière un peu artificielle peut-être par une section sur le rêve (un des sujets de prédiction de l'auteur). Il pose néanmoins des tas de questions passionnantes qui permettent de poser un regard différent, plus précis, sur les images que nous a laissé le Moyen Âge.