Jean d'O est mort ; vive Jean d'O !
Préambule : je n'aime pas les biographies, et suis hostile au pire, indifférent au mieux à Jean d'Ormesson dont je n'ai lu aucun livre, mais dont je perçois l'aura politique et la particule le...
le 11 oct. 2023
Préambule : je n'aime pas les biographies, et suis hostile au pire, indifférent au mieux à Jean d'Ormesson dont je n'ai lu aucun livre, mais dont je perçois l'aura politique et la particule le rattachant à l'autre camp. On pourrait croire que ça part mal ; pas du tout, j'ai beaucoup aimé ce livre. Sophie des Déserts est journaliste, j'ai déjà lu ses longs papiers dans Libération, ancienne de L'Obs et de Vanity Fair ; elle dresse un long portrait très enlevé et alerte de Jean d'Ormesson.
Plus que le personnage médiatique, l'écrivain, ou l'homme, qui ne m'intéressent pas, elle décrit en réalité l'aristocratie française et ses liens avec le monde des affaires, des lettres et de la politique. Cette France éternelle, d'avant 1789, qui à force de compromissions (notamment en 1940) a survécu et persévéré dans son être. Des Déserts décrit cet entre-soi politico-médiatico-littéraire, les plumes du Figaro envahissant l'Académie française sous l'impulsion de Jean d'O : Jean-Marie Rouart, François Sureau, même Valéry Giscard d'Estaing, ami d'enfance de Jean d'O, dont on apprend qu'il a été poussé par lui pour entrer à l'Académie. Merci Jean d'O !
L'autrice montre, sans l'accabler, cet aristo en disgrâce dans sa famille (il a couché avec la jeune épouse de son cousin dans le château familial), qui adore les femmes - qui le lui rendent bien - séducteur impénitent : même ses adversaires politiques, Mitterrand, Hollande... et Mélenchon, qu'il rencontre en 2017 et qui apporte au château une bouteille de brouilly car "voilà ce que nous buvons, nous, les gens de gauche !" (p.259). Elle n'est pas complaisante avec lui, écrivain médiocre mais peu lucide qui se voyait recevoir le Nobel, avec beaucoup de succès, accédant à La Pléiade de son vivant, davantage auréolé des recettes financières pour les caisses de Gallimard que de la reconnaissance de ses pairs.
On y voit un dilettante absolu, éditorialiste et directeur paresseux du Figaro (sauf contre la gauche), "journaliste" dont le premier reportage a lieu au Rwanda pendant le génocide, soit à 69 ans, duquel il retire la conclusion navrante que les deux camps se valent dans l'horreur. Mais alors, comment devient-il directeur du Figaro ? Son oncle, Wladimir d'Ormesson, en était l'éditorialiste vedette dans l'entre-deux-guerres ; la propriété du journal est partagée entre son ami Jean Prouvost et son beau-père l'industriel du sucre Ferdinand Béghin. Comme il faut bien travailler un peu, pourquoi pas diriger Le Figaro ?
(Il est d'ailleurs amusant qu'à part Le Masque et la Plume, la seule réception médiatique du livre est une recension très sévère dans Le Figaro, qui crie au scandale, à la biographie à charge et au déshonneur. Raison de plus pour lire ce livre)
La métaphore du titre est très juste : toute une Cour gravitait autour de lui. Sophie des Déserts montre une France du passé, un peu moisie et dégoûtante, dont on espère sans trop y croire qu'elle a définitivement disparu avec son emblématique représentant.
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le 11 oct. 2023
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