Le goût de la viande, le dégoût de la vie

Hyacinthe, vingt ans, reprend miraculeusement connaissance sur le champ de bataille dévasté de Verdun. S’il parvient à s’extirper de la montagne de corps qui l’entoure et l’écrase, son esprit et son âme resteront à jamais prisonniers de cette parcelle de terre souillée par la folie humaine.


Cette folie dont il n’est que la victime le contaminera au point de s’y abandonner, le temps d’un acte abject.


Dès la scène d’ouverture, le ton, macabre, est donné. Il s’agit bien d’une deuxième naissance pour Hyacinthe, au sens quasi littéral du terme : à défaut de sortir du ventre de sa mère, il s’extrait des entrailles de ses camarades. Cet accouchement contre-nature, fruit de la mort et non de l’amour, hantera le reste de sa vie.


Persuadé d’être un monstre, il se comportera comme tel. A l’armistice, il retourne dans sa ferme familiale sans éprouver la moindre émotion : il n’en est plus capable.


Le goût de la viande ne raconte pas l’histoire d’un raté qui gâche sa vie, mais d’un gâché qui rate la vie. Gâché par la guerre, hanté par la mort qui se refuse à lui, Hyacinthe ruinera consciencieusement toute tentative de retour parmi les vivants, passera volontairement à côté de toute source de bonheur. Avant la guerre, il voulait devenir charpentier de marine. Un temps, il en deviendra un, mais aux bateaux il préférera finalement les cercueils.


Traumatisé par les corps mutilés de Verdun, lui-même charcuté d’un bras, il développe une fascination morbide pour la chair martyrisée, la sienne ou celle des autres, humaine ou animale. Il aime la viande non pour la vitalité qu’elle est supposée transmettre à celui qui la mange, mais parce qu’elle est morte : en s’en goinfrant, il espère se rapprocher du même état.


Dans ce roman où les dialogues sont quasiment absents, renforçant ainsi l’impression de solitude ressentie par le narrateur, l’élégance des phrases sublime la crudité des mots comme une sauce rattraperait une viande avariée. Narré à la première personne par Hyacinthe, des jeux de mots cruellement cyniques parsèment le récit sans qu’on sache s’il faut en rire ou en pleurer.


Gildas Guyot signe un premier roman âpre, amer, dur. Sa lecture éprouvante pourra en écœurer plus d’un, mais son livre a le mérite de poser une question dérangeante : si nous avions connu un traumatisme similaire, aurions-nous été meilleur ou pire que Hyacinthe ? On ne saura jamais vraiment ce qu’on a dans le ventre. Lui, oui. Littéralement.

chickenonastick
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Sélection Prix du Meilleur Polar Points 2021

Créée

le 6 sept. 2020

Critique lue 549 fois

1 commentaire

chickenonastick

Écrit par

Critique lue 549 fois

1

D'autres avis sur Le goût de la viande

Le goût de la viande
chickenonastick
9

Le goût de la viande, le dégoût de la vie

Hyacinthe, vingt ans, reprend miraculeusement connaissance sur le champ de bataille dévasté de Verdun. S’il parvient à s’extirper de la montagne de corps qui l’entoure et l’écrase, son esprit et son...

le 6 sept. 2020

1

Du même critique

Skyfall
chickenonastick
6

James Bond n'est-il qu'un nom ?

Après le génial Casino Royale et le lamentable Quantum Of Solace, Daniel Craig, toujours aussi impressionnant, est de retour dans le costume de James Bond. Ce nouvel épisode est globalement réussi,...

le 9 juin 2019

2 j'aime

Seul le silence
chickenonastick
9

Seul le silence, drame en trois actes

« Un livre magnifique, qui vous hantera longtemps. » Michael Connelly (Harry Bosch) a raison. Seul le silence, roman noir de R. J. Ellory et tragédie en trois actes, vous hantera longtemps, bien...

le 24 mai 2020

1 j'aime