Le manteau de Proust par Tempuslegendae
Heureusement, la qualité d’un texte n’est pas toujours proportionnel à son volume. «Le Manteau de Proust» me sert ici d’exemple pour prouver que le condensé d’art peut peser plus lourd que la matière, l'encre qui la compose.
Lorenza FOSCHINI, journaliste italienne, est éprise de littérature. Un jour, son métier la conduisit à interviewer Pietro Tosi, le costumier de Visconti. On sait qu’au début des années 70 le réalisateur du «Guépard» avait sérieusement songé à faire une adaptation de «La Recherche». Pour les repérages, Tosi dut se rendre à Paris, où il rencontra un amateur d’éditions rares et d’autographes. Il s’agissait de Jacques Guérin, également célèbre parfumeur des beaux quartiers, que le professeur Robert Proust avait opéré de l’appendicite.
Voici en place, les principaux personnages où l’on voit apparaître Lefebvre, libraire au faubourg Saint- Honoré et quelques autres de la célèbre et grande famille, chacun entretenant entre eux de bien complexes rapports. Bref, pour ceux-là, Marcel désigne un personnage inquiétant qui a sali le nom de sa lignée et écrit des choses inconvenantes. Après la mort de l’écrivain, Marthe Dubois-Amiot, issue de ce grand monde, décide de se livrer à un féroce autodafé, clamant: «On brûle… On brûle tout!». Mais elle ne brûle pas les manuscrits mis à l’abri par la nièce, Suzy. Quant à Jacques Guérin, dont le métier lui a conféré un don olfactif inégalable et une obstination de fétichiste comme les grands artistes, il entrera en possession de livres, de lettres, de photos, de pièces inestimables que le brocanteur et la belle-sœur considéraient comme de la matière de petite misère. Se rappelant que PROUST imaginait que les objets inanimés enfermaient «des âmes qui subissent un martyre et implorent leur délivrance», il mettra la main sur les meubles de la chambre où l’écrivain fut si heureux de confier à Céleste: «Cette nuit, j’ai mis le mot «fin». Maintenant, je peux mourir.»
Nous le savons, la chambre reconstituée est aujourd’hui au musée Carnavalet. Dans les caves, un carton que, avec beaucoup de précaution et réticence, on ouvre un jour pour la journaliste. Bouleversée, elle contemple et va jusqu’à toucher ce saint suaire. Mangée par les mites, c’est la pelisse doublée de loutre, le manteau légendaire que l’écrivain n’ôtait jamais, même au plus chaud de l’été. Celle qui servait de couverture sur le petit lit de cuivre, celle qui tentait de protéger du froid mortel un des plus prodigieux aventuriers de l’histoire des lettres.
Et maintenant, j’imagine ce que vous pouvez légitimement penser: comment se fait-il qu’une journaliste italienne ait pu faire autant de clarté sur une histoire bien française, qui plus est celle de PROUST? Cette lumière-là, je ne vois pas qui pourrait l’apporter…