Vous connaissez Les Canaries ? Cet archipel paradisiaque, espagnol, au large du Maroc ? Vous connaissez Tenerife ? C’est la plus grande des îles, et la plus belle, bien sûr. C’est là où je suis née, en 2012 ou 2013, je ne me souviens plus très bien, il s’est passé tellement de choses depuis…
Je coulais des jours heureux, au pied du plus haut sommet d’Espagne (plus de 3700 m) et, sans que je ne demande rien à personne, on est venu me chercher et on m’a mise dans un carton avec juste un petit trou pour respirer ! Quelle aventure ! J’ai bien cru ma dernière heure arrivée…
Quand on a ouvert le carton je me suis retrouvée en face d’un drôle de gars, tout sourire, j’ai tout de suite compris qu’il ne me voulait pas de mal. Il m’a expliqué qu’il voulait que je lui tienne compagnie, qu’on allait bien s’entendre et qu’on allait voir du pays… Je comprenais très bien ce qu’il me disait, mais il m’était impossible de lui répondre. Et voilà qu’il m’emmène sur… un bateau ! Et un petit, en plus. Moi qui avais l’habitude de courir un peu partout…
Et le voilà qui marmonne : « Je dois lui trouver un nom. Sur mon bateau, j'ai plusieurs bols bretons, avec un prénom écrit dessus. J'ai le mien, bien sûr, un bol « Guirec » que j'ai emporté avec moi. Et puis il y en a deux autres que d'anciens propriétaires ont laissés. Un « Jeannette » et un « Monique ». J'hésite, et finalement je choisis Monique, ça sonne bien Monique pour une poule ! »
C’est comme ça que je me retrouve affublée de ce drôle de nom : « Monique » ! Pour une authentique canarienne, ça me fait tout bizarre ! Eh bien moi, je vais t’appeler "El Guiño", ça me rappellera mon petit coin d’Espagne !
Avril 2014, "on" met les voiles et c’est parti, direction les Antilles. Le vent est faible, la mer est calme, mais pour "El Guiño", ce n’est pas plus mal, « ça lui laissera le temps de s’habituer en douceur. »
Il a hissé la grand-voile et déroulé le génois, le moment est magique. Assis sur le bord du bateau, les pieds dans le vide, il m’a mise sur son épaule, je suis bien. Et il parle, il parle… Les études ne sont pas faites pour lui. Dès sa majorité (2010), pour apprendre l’anglais, il délaisse l’Angleterre ou l’Irlande trop proches et quitte sa Bretagne natale pour l’Australie, avec 200 € en poche. Il multiplie les petits boulots, jusqu’à se faire embaucher pour un an comme marin pêcheur sur un crevettier. Ainsi commence l’usage de sa "bonne bouille" et de sa formidable convivialité qui lui permettront, partout, de se faire des amis et de trouver du travail pour lui permettre de vivre en totale indépendance… et de me donner d’appétissants bols « Monique » débordant de délicieuses graines.
Son rêve ? Passer un hiver bloqué par la banquise près du pôle Nord ! Original, non ? À chacun son idéal, mais j’avoue que là, ça m’ébouriffe les plumes du dos…
Cette première traversée de l’Atlantique n’est pas toujours aussi calme et il nous tarde de faire escale pour remettre le bateau en état (et acheter de quoi améliorer mes menus). Une fois arrivé à Saint-Barth, aux Caraïbes (pas mal ! Ça ne vaut pas Tenerife, mais bon…), "El Guiño", que tout le monde appelle "Guirec", se fait plagiste, pour se faire des sous et consolider son bateau. Et, quand il explique aux touristes sa traversée, il fait son petit malin : « "Mais tu as fait ça tout seul ? – Ah non, pas tout seul, je suis avec ma poule !" Et à chaque fois : "Ah, avec ta copine ? – Non, une vraie poule !" » Et moi, de me pavaner, plutôt fiérote !
En juin 2015, nous quittons les Caraïbes pour le Nord – toujours sa folie, son envie de banquise – et en novembre on s’installe dans la baie de Disko (comme salle de bal on fait mieux), une plage "accueillante" à l’Ouest du Groenland sous le 69e parallèle et on attend que ça gèle. Enfin, mon Grand Fou, parce que moi, je reste calfeutrée dans l’espèce de cabane qu’il m’a construite dans le carré. À -35°C, très peu pour mes pattes, même avec le Pull-à-poule qu’il m’a confectionné avec une paire de gants en laine. Alors, je vis cloîtrée. Enfin la banquise se forme. Et c’est de la glace recouverte de neige partout. Et il est heureux, mon grand couillon, et il veut que je profite, et me pose sur la glace pour que j’exécute un triple-salto-arrière. IL EST FOU !
Il a simplement oublié LES TEMPÊTES ! Des tempêtes terribles se succèdent et… la houle se forme SOUS la glace, et la banquise se brise et forme une sorte de puzzle de blocs de glace qui ondulent sur la houle et s’entrechoquent en martyrisant le pauvre navire. Combien de fois El Guiño-Guirec a-t-il préparé son Kit de survie, prêt à quitter le navire… me laissant seule maître à bord…
En juillet 2016, nous pouvons enfin reprendre la mer et quitter le Groenland, et je deviens « l’unique POULE à franchir le "passage du Nord-Ouest" » et "El Guiño-Guirec", le plus jeune navigateur (24 ans) à en faire autant.
Ah, je m’en souviendrai de Campbell River (près de Vancouver, au Canada) ! Il était tout content, mon coéquipier : enfin une grande ville avec la possibilité de ravitailler et de remettre, encore une fois, l’embarcation en état. Il est vrai qu’après ce qu’on a subi dans les glaces, il y a fort à faire. Et puis tout d’un coup, plus d’El Guiño ! Je me retrouve chez un inconnu qui a beau faire, ça ne va pas : On ne se quitte pas comme ça, brutalement, après tout ce qu’on a risqué ensemble ! Sans mon El Guiño, je dépéris.
Et puis, presque un mois plus tard, le voilà qui réapparait. On lui dit que je suis malade. Pas possible : « Malade, Momo ? Elle était en pleine forme quand je suis parti, qu’est-ce qui a pu se passer ? [En effet, il trouve] une Monique apathique, amaigrie et déplumée. En trois semaines, elle a fondue comme un iceberg au soleil. » On lui parle d’un vétérinaire grand spécialiste des oiseaux et des poules en particulier, à plusieurs heures de routes… Il prend rendez-vous, mon El Guiño, et voilà le véto qui m’examine sous toutes les coutures (ou sous chaque plume !). Verdict : « Dépression ! »
Les épreuves, ça soude un couple ! Il ne savait pas ça, El Guiño ?
Plus tard, il m’expliquera qu’il était parti à Paris où on avait organisé une exposition-vente des photographies de mes exploits (et des siens) qui a rapporté un max de financement pour remettre le bateau à neuf. Mais pour l’heure, on ne se quitte plus !
Et c’est reparti, vers le Sud. Il a vraiment la bougeotte mon El Guiño, il ne peut rester tranquille un moment. Quand on s’arrête, c’est pour réparer. Et comme il n’a pas assez d’argent il trouve du travail et économise. Il est formidable mon El Guiño, il se fait des amis dans tous les ports et s’arrange toujours pour se faire embaucher quelque part. Et moi, je l’attends à bord, bien au chaud dans ma petite cabane-poulailler, et pour le remercier, je lui ponds un bel œuf tout chaud chaque jour !
Mais donc cette fois-ci, il s’imagine « mettre le cap sur la Polynésie française et ses atolls paradisiaques. [Il] se verrait bien lézarder sur les plages des Marquises, à Bora Bora, Tahiti et Moorea, et nager dans des lagon turquoise. » Au fait, il m’a appris à nager ! J’ai tout de suite compris le truc. Futée la Momo !
Eh bien, c’est loupé ! Le 29 mars 2017 La dépêche de Tahiti titre en première page : « Voyage de Guirec Soudée – Monique, la poule n’est pas la bienvenue. » Il faut bien que ce soit "la France" pour me traiter en pestiférée !
Adieu les plages de sable fin et les cocotiers. À nous les quarantièmes rugissants des mers du Sud !...
Et là, je vous garantis que c’est la Grande Machine à Laver. Et quand on en a fini avec les quarantièmes, ça recommence avec les cinquantièmes hurlants… le 23 février 2018 nous atteignons enfin l’île de la Déception en… Antarctique ! Où les manchots nous accueillent ! Au fait, à cette occasion j’ai gagné mes galons de Première Poule "Cap-Hornière" !
On ne s’attarde pas trop (les plagistes avaient oublié les parasols !...) et on repart pour notre deuxième transatlantique, direction Le Cap. Mais quelle traversée, j’en ai encore les plumes toutes ébouriffées ! C’est tempêtes sur tempêtes ! Notre coque de noix est vraiment malmenée. À un moment on s’est même retrouvé la quille en l’air, le plafond à la place du plancher. J’ai bien cru que c’était la fin ! Eh bien non. Grâce à ma bonne étoile (je vous dirais laquelle) j’ai sauvé, encore une fois, mon El Guiño de ce mauvais pas, et le 17 avril on arrive enfin à Cap Town. Notre embarcation est tellement déprimée qu’il faudra près de trois mois à mon skipper pour lui redonner quelques signes de vitalité.
Et c’est fin juin que nous reprenons la mer pour une troisième transatlantique, la ligne d’horizon lointaine commençait à me manquer ! Après quelques coups de vent inévitables, on se retrouve, mon Guiño et moi, à partager notre déjeuner en terrasse, la température devenant agréable en remontant vers le Nord. Aux Caraïbes, perchée sur mon Guiño, nous admirons des couchers de Soleil flamboyants, je m’imagine aux Canaries…
Après une escale à la Martinique, en octobre, et un arrêt à Saint-Barth pour saluer les copains, on hisse les voiles pour notre quatrième transatlantique ! Direction LA BRETAGNE !... El Guiño me communique sa fébrilité… Il ne sait plus très bien ce qu’il fait, le pauvre. Enfin, le 15 décembre 2018 nous arrivons à Paimpol dans une liesse générale, où je suis portée en triomphe !
Ma petite balade de quelque 74 000 km s’achève là. En quittant mon île, cinq ans plus tôt, je ne pensais pas vivre une telle équipée, je commence à me sentir lasse et j’espère un peu de repos bien mérité dans un bon poulailler à la française où je pourrai raconter mes aventures à mes copines emplumées…
C’est le 1er mars 2023 que j’ai accédé au paradis des poules. Là, j’ai rejoint mon étoile, celle qui veille sur Guiño-Guirec, Mu Columbae, de la constellation de la Colombe, dans l’hémisphère Sud (c’est la colombe de l’Arche de Noé), elle se trouve à proximité de la constellation du Navire Argo (une série de coïncidences, c’est un signe, non ?…). Mon étoile et moi, nous continuons à veiller sur notre intrépide skipper.
C’est pour ça que sur le Vendée Globe 2024, Guirec Soudée sur son Imoca (un bateau à dérive droite, pas des plus performants), à l’approche du Cap Horn, en ces premiers jours de 2025, est remonté de la 28e à la 22e place en 5 jours ! (Encore un coup de Momo !)
Alors, mon grand, pour 2025 et les suivantes, nous te souhaitons, mon étoile et moi, « BON VENT ! » et de très belles courses au large…
Mu Col et Monique
Coup de Cœur !