Si l’on était obsédé d’idéologie et de parité comme les Français d’aujourd’hui (l’idéologie étant une prétention de l’idéal à s’imposer au réel avec plus ou moins de négociations), on serait porté à dire que cette pièce est féministe : n’y voit-on pas une jeune fille, Cécile, se montrer beaucoup plus forte et résolue que son empoté de père et son soupirant bafouillant ? Mais, autre époque, autre mentalité, le conservateur Labiche se fichait pas mal de la promotion sociale féminine, et sa pièce n’en a que plus de valeur, dans la mesure où elle s’en tient aux règles du théâtre : exploiter les caractères et les situations pour en tirer, ici, des effets comiques.
En dépit du titre de la pièce, le père de Cécile, Thibaudier, est bien plus qu’un simple timide : c’est un faible, qui ne sait pas dire non au plus insignifiant des solliciteurs, et on se demande, à la limite, comment il a pu réussir dans la vie avec si peu de volonté de puissance. Donc, dramatiquement, il faut exploiter deux éléments : la timidité (soit : la fuite du contact et de l’affrontement verbal), et la faiblesse (soit : ne contrarier personne, se laisser imposer les désirs d’autrui au détriment des siens propres).
A partir de ce schéma, Labiche « donne à voir », en ce sens qu’il accentue les contrastes et les caractères pour mieux en tirer parti. Face à Thibaudier (qui a horreur de parler), voilà précisément que le prétendant, Jules Frémissin, est avocat, ce qui est évidemment propre à renforcer les préventions du très pusillanime père de Cécile !
Bien qu’énergique et décidée, Cécile reste gracieuse et féminine, ce qui n’est pas gagné d’avance avec une telle intrigue. Elle sert de messagère à son père qui n’ose pas signifier directement ses opinions ; elle sait lire le trouble qui saisit les hommes à son approche.
Garadoux, le premier prétendant, est perversement poétique, fat et enjôleur comme le suppose son rôle peu sympathique. Il tente, par ses prévenances, de forcer la main à Thibaudier pour que son mariage avec Cécile se conclue au plus tôt.
Quand les deux timides sont mis en présence, on rit des craintes et des tentatives réciproques de battre en retraite devant la mise en relation. Si l’on avait l’esprit mal tourné, on serait porté à voir un double sens dans le couplet chanté entre Cécile et Frémissin (« Cécile – Puis-je, Monsieur, vous supplier... Frémissin – De quoi ? Cécile – D’avoir la complaisance de me tenir mon sucrier ? ». Bon, il y a vraiment un sucrier sur la scène, mais tout de même ! Si la censure du temps de Labiche a laissé passer cela, c’est que le public avait l’esprit bien moins mal tourné que nous !
Autre source de comique : les répliques style « paliers de réflexion » que Thibaudier et Frémissin échangent pour remplir leur conversation, et servant à cacher leur trouble : à chaque fois que l’un annonce un désagrément qu’il vit, l’autre répond automatiquement : « Allons, tant mieux ! Tant mieux ! », en discordance parfaite avec la nature de l’information énoncée. Les timides ont une vraie propension à ce type de remplissage, donnant à croire qu’ils soutiennent la conversation, alors qu’ils sont perdus... Et il faut voir la satisfaction, ou le dépit, que chacun éprouve lorsqu’il a éludé, à dessein ou par faiblesse, une question qu’il redoute.
Outre Cécile, les messages des timides utilisent l’écriture de lettres comme médiateurs pour éviter le contact direct, et les lettres sont déposées sur la pendule, bien visible sur la scène.
Le problème posé à Cécile (choisir un prétendant de préférence à un autre) est réglé par un coup de théâtre final, qui récupère une information innocemment apportée au début de la pièce.
Cette brève pièce vaut par la concision exceptionnelle de la rédaction des répliques : pas un mot, pas une virgule qui ne soit nécessaire à la progression dramatique. Toutes les informations sont exploitées, pour faire avancer l’action à un rythme soutenu.