Que peut-on faire dans l'Empire romain, au IIe siècle après Jésus-Christ, quand on est riche, oisif, intelligent et curieux ? On étudie. Aulu-Gelle est parti séjourner dans la cité-mère de la culture antique, Athènes, et y a suivi les cours et les débats autour de maîtres connus en leur temps : Fronton (connu pour sa correspondance), et Favorinus d'Arles (philosophe et rhétoricien).
Ce gros cahier de notes érudites et raffinées, vagabondant avec délectation dans les jardins de la culture et de la civilisation, n'a aucunement cherché à présenter un plan d'ensemble cohérent et maîtrisé. C'est un recueil de réflexions personnelles, composées au hasard des lectures et des rencontres, dans une agréable anarchie qui suscite l'appétit. On ne peut même qualifier cet ouvrage d'encyclopédique, car on n'y traite que de sujets très ponctuels, et parfois assez pointus.
"Les Nuits Attiques" s'inscrivent dans un genre littéraire qui tire son charme de l'éclectisme bon enfant mais rigoureux. Parmi ses parents, on peut citer les "Propos de Table" ou les "Questions Grecques" et les "Questions Romaines" de Plutarque, les "Saturnales" de Macrobe, l' "Histoire Naturelle" de Pline l'Ancien, les "Faits et Dits Mémorables" de Valère Maxime, et même Servius, le commentateur de Virgile. Macrobe cite d'ailleurs souvent Aulu-Gelle. "Les Nuits Attiques" citent beaucoup d'auteurs, ce qui nous donne souvent le seul passage qui nous reste d'eux.
On sent, au ton et à l'agrément de la lecture, que l'auteur est un puriste, un rigoureux, un fignoleur de la langue et de la logique. Il décortique la correction de l'emploi de tel ou tel mot, il catalogue les différentes couronnes militaires, les noms que porte Jupiter, l'histoire d'Androclès et le Lion, les populations fabuleuses qui résideraient aux confins du monde connu (Scythes anthropophages, cyclopes appelés Arimaspes, hommes aux pieds orientés vers l'arrière, albinos-nyctalopes, Illyriens qui tuent par le regard, hommes à la tête de chien, hommes qui n'ont qu'une jambe, hommes-oiseaux ne se nourrissant que du parfum des fleurs, etc.), les interdits portant sur les activités de tel ou tel jour (faste ou pas), les tabous pesant sur les flamines de Jupiter, l'adoption, la distinction entre "Histoires" et "Annales", les relations difficiles des Romains et des Rhodiens, la formation correcte de certaines formes de conjugaison, les décrets des Gracques, la privation du cheval pour les chevaliers obèses, sur les syllabes longues et brèves, sur l'habileté de Virgile à traduire Homère, sur l'origine "naturelle" du langage, sur l'adultère...
Cette lecture plaisante et raffinée garde tout son charme, spécialement pour les amoureux de l'Antiquité.