Les années 1970 ont vu éclore dans plusieurs pays d’Europe une nouvelle forme de terrorisme d’extrême gauche marqué par l’implication directe de femmes dans la lutte armée. Se penchant sur les cas français et allemand, Fanny Bugnon examine, revue de presse à l’appui, comment ce phénomène a pu être traité par les médias de l’époque. Lorsque la Fraction armée rouge commence à se faire connaître, de nombreux commentateurs français voient dans cette conjonction entre idées radicales, banditisme et implication des femmes, un mal spécifiquement allemand, voire une résurgence de l’hitlérisme sous d’autres formes. « Le fantôme de l’ennemi ainsi que la croyance en des tempéraments nationaux sont alors convoqués pour cerner un phénomène décrit comme un symptôme du désordre social. » L’apparition d’Action directe est alors interprétée comme une contagion allemande.
La police prend l’habitude d’attribuer une plus grande dangerosité aux femmes terroristes qu’à leurs camarades masculins, insistant sur leur froideur et leur détermination. « Les services spécialisés dans la lutte contre le terrorisme ont une règle : si vous avez affaire à une femme, tirez les premiers. Sinon vous ne raconterez jamais la suite de l’histoire » rapporte Le Figaro en 1989. On parle à leur propos de furies, de sorcières, de pétroleuses, d’Amazones, le jugement du public les reléguant souvent à leur identité sexuée. « Fleurs vénéneuses ou mantes religieuses, elles incarnent à leur corps défendant une beauté féminine suspecte au crible de laquelle leurs faits et gestes sont passés. L’arme métaphorique de la séduction, si elle annihile toute dimension politique à propos de la présence de ces femmes dans le box des accusés, n’en demeure pas moins une séduction coupable dont le pouvoir est lié à la sexualité. »
Réduites souvent, par leurs avocats comme par les journalistes, à des amoureuses-suiveuses, des femmes influençables sous la coupe d’amants manipulateurs, certaines d’entre elles sont pourtant loin d’être des marionnettes. C’est bien Ulrike Meinhoff qui était la véritable théoricienne de la RAF et c’est bien Gudrun Enselin qui initia Andreas Baader aux idées révolutionnaires et qui l’introduisit dans le milieu anarchiste. Entre stigmatisation (l’homicide de main de femme étant considéré comme une des formes du mal absolu) et glamourisation médiatique (le couple Jean-Marc Rouillan-Nathalie Ménigon comparé à Bonnie et Clyde), un chapitre de l’histoire du terrorisme lu sous un jour nouveau.