la logique de l'illogique

souvent dans mon enfance, mon père m'a raconté l'échafaudage de la tour de contrôle.

Au moment de construire Roissy, un architecte avait dessiné un échafaudage circulaire entourant la tour naissante. Au cours d'une réunion, quelqu'un s'exclame : mais pourquoi fabriquer un cercle complet ? Un échafaudage en portion de cercle suffit, qu'on déplacera au rythme des besoins ! économie !

Au premier vent un peu fort, l'échafaudage est tombé, tuant un ouvrier.

On avait simplement oublié que c'était la tour qui tenait cet échafaudage circulaire; ramenée à une petite portion de cercle, cette structure sans attache ne tenait plus à rien.

Logique segmentée : comme l'échafaudage, les décideurs avaient découpé leur réflexion en morceaux dédiés, catégorisés, perdant de vue l'ensemble. Comme l'échafaudage, leur logique ne tenait plus debout.

Le livre ne parle pas de l'échafaudage de Roissy.

Il pourrait :

Christian Morel relève, analyse et décortique ce qui amène des gens instruits, bien intentionnés, des têtes bien faites, à prendre ( pas toujours ! parfois ) des décisions illogiques, contreproductives, à faire des choix aberrants.

N'attendez pas d'anecdotes croustillantes; n'imaginez pas l'entendre critiquer un système ou un mode de pensée, une idéologie : ce n'est pas son propos.

Calmement, méthodiquement, avec lucidité, il repère les biais cognitifs, les chaînes de décisions, les tropismes, les mécanismes d'autoprotection, les reports de responsabilité, tout ce qui, dans une instance décisionnaire, mène à des situations ubuesques.

Il ne propose pas de réforme, pas de solution miracle, ne milite pas, ne vend pas de système. Il cherche juste à comprendre et à expliquer.

C'est ce qui fait tout le prix de ce livre, cette approche de chercheur.

Christian Morel n'explore pas l'irrationnel des individus, ni leurs motivations contradictoires; il ne se penche pas sur les foules;

il s'attache juste aux entreprises et aux administrations, à leurs instances; c'est son terrain d'observation.

pour mieux comprendre ce livre, rien ne vaut quelques titres de chapitre :

Le commandant de bord et son copilote arrêtent le seul réacteur qui fonctionnait normalement

/ Des enquêtes d'opinion interne fondées sur des échantillons sans valeur / une montre analogique aux aiguilles invisibles / Le climat, piège heuristique / La perte de sens par dysfonctionnement de la définition de l'objectif / tracteur amish volontairement privé de pneus pour des raisons religieuses...

etc. etc...