C’est une question peu connue mais les invasions barbares des IVe et Ve siècles se sont avérées déterminantes dans la théorisation postérieure d’une histoire de l’art européen fondée sur les notions de sang et de race. Cet événement est à l’origine d’une bipartition, dans l’art, entre un univers méditerranéen, lié à l’Antiquité et au paganisme, et un univers germanique, lié à la modernité et au christianisme. Au premier on attribue des qualités tactiles et une prédominance des éléments linéaires, au second des qualités optiques et une prédominance des éléments picturaux. Michaud nous présente plusieurs tendances qui ont jalonné ce long processus : de la physiognomonie de Lavater à la thèse du métissage créateur d’Elie Faure en passant par Camper (théorie de la ligne faciale dans la statuaire), Wölfflin (théorie de l’essentialisme psychologique racial dans l’architecture) et surtout Winckelmann qui, croyant à une transmission génétique des styles artistiques, jugeait de la physionomie réelle des peuples à leurs représentations et à celles de leurs dieux, censément façonnés à leur image.
« C’est dans le retour du temps des Barbares au cœur du romantisme européen, en réaction aux Lumières, à la Révolution française et à l’Empire napoléonien, que l’opposition des races germaniques aux races latines s’est durablement constituée comme le modèle d’interprétation le plus banal des productions culturelles. Un modèle si ordinaire qu’il en est presque devenu invisible dans la littérature artistique où il s’est activement disséminé jusqu’à nos jours. » Loin de s’atténuer après la Deuxième guerre mondiale, la racialisation de l’art a poursuivi son chemin, par exemple à travers la tentative de théoriser un art gaulois de souche celtique transcendant les siècles et les écoles, défendue notamment par André Breton qui y voyait une réaction salvatrice à la vieille contagion gréco-latine. Ou à travers les thèses de Dubuffet sur un art brut qui, apothéose de la sauvagerie occidentale dans l’art, serait dès lors spécifique à notre civilisation, esthétiquement supérieure, et étrangère aux valeurs du classicisme de par son substrat germanique. L’histoire racontée par Michaud est au fond celle de la longue disgrâce de la civilisation latine, depuis le Moyen-Âge jusqu’à certains segments de l’art contemporain, sous l’effet de chauvinismes divers et de visions de l’histoire et de l’esthétique idéologiquement très orientées.