"Plus d'une langue". C'est le mot de Jacques Derrida que l'Académicienne Barbara Cassin, philologue helléniste et philosophe, a choisi d'inscrire sur le pommeau de son épée. C'est une devise qui s'applique parfaitement à toute l'oeuvre - essentielle - de Vassilis Alexakis, et en particulier à ce roman. L'auteur, comme ses personnages qui constituent autant de doubles, est franco-grec, ou greco-français, on ne sait plus. Il écrit dans les deux langues, traduit lui-même ses livres dans l'autre. Toujours un pied sur chaque rive, étranger à Paris autant qu'à Athènes.


Les mots étrangers s'inscrit parfaitement dans l'oeuvre de Alexakis. Le héros, Nicolaïdes, décide d'apprendre une troisième langue, le sango. Pourquoi ? Et pourquoi pas ? C'est l'occasion pour Alexakis de nous confronter à une langue africaine, parlée essentiellement en Centrafrique, en métissant le français de phrases entières en sango. Comme dans ses autres romans, le détour par une autre langue permet à l'auteur de disserter et de digresser sur ses deux pays, la France et la Grèce. Ici, ce n'est pas sa mère, à qui il rendra hommage dans l'excellent La langue maternelle, ou son éditeur et ami Jean-Marc Roberts, à qui il dressera un tombeau littéraire avec La clarinette, qui reviennent en fantôme, mais son père qui visita jadis la Centrafrique. Dans ce roman, le détour prend la forme de l'apprentissage d'une autre langue, plus poussé que celui de la langue des signes dans Le premier mot. Publié en 2002, Les mots étrangers laisse le.a lecteur.rice assidu.e de Vassilis Alexakis sur sa faim, vingt ans plus tard, mais ce roman participe à son échelle à la constitution de l'oeuvre majeure d'un écrivain que je regrette profondément.


Les mots étrangers ont du coeur. Ils sont émus par la plus modeste phrase que vous écrivez dans leur langue, et tant pis si elle est pleine de fautes. Je ne sais pas comment je vais commencer, mais je sais que j'aimerais finir par des mots étrangers. Comment ne pas me reconnaître dans un récit qui commencerait dans une langue et se terminerait dans une autre ?
antoinegrivel
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le 31 mai 2022

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Antoine Grivel

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