Paru pour la première fois en 1993 mais traduit en français il y a quelques mois seulement, cet exposé, académique mais très instructif, présente les grandes théories du cinéma qui ont émergé entre 1945 et le début des années 1990 dans les panoramas européen et américain. S’en tenant aux grandes tendances, celles qui ont fait école et dont la riche productivité a garanti le statut théorique, l’auteur passe en revue les diverses contributions intellectuelles de cette période : les définitions canoniques, la perspective réaliste, l’imaginaire, la sémiotique, les théories méthodologiques, les approches sociologiques et psychanalytiques, les lectures selon l’idéologie ou selon le genre. On réfléchit sur l’illusion du mouvement avec Bergson, sur le conditionnement et la subjectivité avec Edgar Morin, on replace les débuts du cinéma dans l’histoire de la peinture impressionniste avec Jacques Aumont, on cherche dans les morality play médiévaux les origines du mélodrame avec Thomas Elsaessen, on lie inconscient collectif d’un peuple et production cinématographique avec Siegfried Kracauer, on rêve d’un cinéma matérialiste dialectique avec Jean-Paul Fargier, on critique la marchandisation de l’esthétique avec Horkheimer et Adorno, on s’interroge sur les phénomènes d’identification entre spectateurs et personnages avec Laura Mulvey, on étudie la rythmique des films avec Raymond Bellour, on parle voyeurisme et fétichisme avec Christian Metz...
Avec d’autres encore, on se demande si l’apparition de la profondeur du champ dans les années vingt marque un retour aux codes de la peinture, on dresse la typologie des archétypes dans la classification des genres cinématographiques, on se focalise sur la réception, la critique, les interactions, la quête du style, les aspects techniques et formels puis industriels et financiers, le rôle de la mémoire, de la rétine, des analogies, de l’engagement, du rêve. Accordant une grande place au renouveau du cinéma des années 1950 et 1960 (la Nouvelle Vague et ses divers équivalents, du Neues Deutsches Kino allemand au Tercer Cinema argentin), Casetti, en restant dans son rôle de chercheur et en évitant de prendre parti, pose quelques questions essentielles : une théorie sur le cinéma se définit-elle pas sa rationalité ou par sa capacité à institutionnaliser la connaissance ? Est-ce le progrès technologique qui conditionne les changements d’orientation esthétique ou l’inverse ? Un ouvrage à la fois pointu et ouvert à tous les vents.