Variantes des thèmes gnostiques
Reflet de la pensée gnostique, la doctrine ici exposée se nourrit des conceptions philosophiques grecques, entre autres du « Parménide » de Platon. A l’origine de la Création, il y a l’Esprit, Monade infiniment transcendante, inconcevable, imperceptible et auto-générée. L’oeuf de l’Être, en somme. De l’écoulement de sa Lumière naît l’Ennoia, différenciée en Pronoia, Barbélô et Prôtennoia. Barbélô, elle-même triple, est un androgyne issu de la Pronoia (pensée du Réel). Barbélô génère dix éons (qualités divines), dont cinq sont masculins et cinq féminins.
Du regard de Barbélô vers la Lumière naît le Fils (l’Oint, le Messie), qui dispose de l’Intellect se manifestant par la Parole. C’est alors que se manifestent douze éons en quatre groupes, chacun portant le nom d’une « Lumière » et d’un Ange. Naissant de l’Esprit (issu du Père)et de la Prescience de la Mère Barbélô, l’Homme Parfait (Adamas) se tient au niveau du monde « Intelligible » (supérieur) organise sa progéniture en trois : Seth, semence de Seth et humanité post-diluvienne.
Dans tout ce qui précède, on est encore dans la transcendance : impossible de voir aucune de ces entités-là. Vient le douzième des éons du fils, Sophia, qui, la vilaine, va vouloir manifester sa propre pensée sans que l’Esprit ait accordé son assentiment, et elle met au monde un être imparfait, l’Archonte (assimilé au Dieu des Juifs ; on voit que celui-ci se situe fort bas dans l’échelle divine ; c’est « L’Archonte des Ténèbres et de l’Ignorance » ; un président de la République, en somme). Cet archonte porte trois noms : Yadalbaôth, Yadalbaôth-Slakas, et Saklas (faut suivre...). Il crée douze anges (les « Autorités »), qui créent pour eux-mêmes sept anges, qui créent pour eux-mêmes trois puissances. Cherchez pas trop le détail du calcul : la production angélique de l’Archonte tombe sur le nombre de 364, nombre de jours de l’année juive.
Cet Archonte est donc bien le « Dieu Jaloux » de l’Ancien Testament. D’ailleurs, il le dit lui-même (§ 44, 14) ; mais, remarque finement le texte (rare marque d’esprit critique !) : « Par là, il signifie aux anges qui sont en-dessous de lui qu’un autre Dieu existe, car, s’il n’en existait pas d’autre, de qui serait-il jaloux ? ». Bonne réflexion, qui n’a pas attendu « Le Livre des Secrets de Jean » pour être soulevée !
Sophia, repentante face à ce fils raté et mégalo (« l’avorton des ténèbres », c’est gentil pour le Dieu des Juifs...), va se planquer dans le neuvième éon. Et voici enfin qu’apparaît Adam, le premier qu’on peut voir avec des yeux dans toute cette ménagerie transcendante ; il naît de la Volonté de l’Homme Primordial et de bricolages techniques de la part des « Autorités » : Adam reçoit en effet sept âmes, assez physiologiques, il faut dire : âme des cheveux, âme du sang, âme de nerf... Enfin le Premier Archonte (celui d’en haut, pas le vilain d’en bas...) souffle l’Esprit de Sophia sur Adam, et voilà notre premier homme au complet !
Mais voilà que notre Adam contrarie l’Archonte inférieur, le pas beau : en effet, Dieu le Père fait insuffler l’Esprit divin sur le visage d’Adam, et, du coup, « sa pensée devint supérieure à celle de ceux qui l’avaient créé et à celle du Premier Archonte ». Rien que ça. Du coup, on se sent moins cons, en tant qu’hommes. Le mauvais Archonte enfonce Adam dans la matière pour l’asservir, mais Dieu le Père, en compensation, investit Adam de l’Epinoia, c’est-à-dire de la Vie qui donne à Adam le désir de remonter vers Dieu. Le mauvais Archonte et ses ruffians donnent à Adam un corps issu d’une curieuse cuisine entre les quatre éléments.
Suit un récit assez subversif d’Adam au Paradis : l’Arbre de Vie, qui est présenté par le Premier Archonte à Adam comme délicieux, est en réalité un poison de haine et de mort ; alors que l’autre Arbre, celui qui permet de connaître le bien et le mal, a été interdit de consommation par le Premier Archonte, et pourtant, c’est cet Arbre qui va permettre à l’Homme de remonter vers la Lumière d’En-Haut.
Pas content qu’Adam ait saisi l’arnaque, le Premier Archonte essaie de le priver d’Epinoia, qui se dissimule au fond du corps d’Adam ; cet Archonte tire une femme du corps d’Adam, et l’auteur prend bien soin de nous dire que l’histoire de la côte tirée d’Adam est fausse. C’est Epinoia qui pousse Adam à manger du fruit de l’Arbre Interdit (et pas la Femme). Yadalbaôth, furieux, jette les deux humains hors du Paradis.
C’est Yadalbaôth (et non Adam) qui aurait engendré de la femme les deux frères équivalents d’Abel et Caïn, et qui a condamné Adam au désir sexuel. De ce désir, Adam engendre Seth.
Dieu énonce à Jean ce qu’il advient des âmes pures, repenties ou non repenties. Au final, il semble que toutes retourneront à Dieu, mais évidemment, les âmes impures subiront un temps plus ou moins long de réincarnations pour se purifier. Remarquons la présence de la réincarnation, qui doit délivrer les âmes impures de l’oubli de leur origine divine. Ce n’est pas souvent que ce thème apparaît dans un contexte biblique, même déviant.
Par contre, il est question d’un « châtiment éternel » pour ceux qui ont blasphémé l’Esprit Saint.
La Fatalité (l’Ananké de « Notre-Dame-de-Paris de Hugo) a été inventée par le Premier Archonte pour enchaîner les hommes, car il est jaloux de leur sagesse supérieure acquise grâce à la collaboration de la Mère et de l’Esprit Saint. C’est encore le Premier Archonte qui entreprend de détruire le genre humain par le Déluge, sauf que le « Livre des Secrets de Jean » tacle à nouveau la Bible et Moïse, affirme qu’il n’y a pas eu d’Arche, mais que Noé et ses amis ont été mis à l’abri du Déluge « au moyen d’un nuage de Lumière ».
Et c’est encore l’Archonte qui envoie des Anges séduire les filles des hommes, et les attacher à la matérialité en leur faisant présent de la sexualité, de métaux précieux et de « distractions ». Cet Archonte entend bien rester calife à la place du calife...
Suit une recension longue du même texte, qui comporte quelques variantes thématiques.
Entre émergence des problématiques inconscientes telles que configurées dans les premiers siècles du christianisme, et volonté de détourner les leitmotivs bibliques dans un sens gnostique, ce traité réorganise la pensée eschatologique en réécrivant le scénario du Salut.