Il y a l’histoire de la philosophie et l’histoire de la philosophie lisible – ou compréhensible si vous préférez. Ce sont deux histoires très différentes.
Socrate est le champion de l’histoire de la philosophie. Il a dit beaucoup de choses, mais rien écrit : c’est Platon, son élève, qui s’en est chargé et qui a ainsi fait parvenir jusqu’à nous une des plus fameuses idées dites socratiques : « Connais toi-même », gnothi seauton en langue gréco-snob. Passons sur le fait que cette idée n’était en vérité pas une phrase de Socrate, mais une sorte de tag sur le temple d’Apollon à Delphes.


Clément Rosset, mort récemment – j’ai pleuré (sans verser de larmes) – n’était le champion de rien. Il n’a pas dit grand-chose, mais a écrit plusieurs petits livres dont Loin de moi qui, vous l’avez deviné, prend la direction opposée de celle choisie par Socrate. Rosset tente d'y en mettre en valeur l’idée que « moins on se connait, mieux on se porte ». C’est un livre de philosophie subtil, et donc original, qui chemin faisant, développe sans forcer, quelques réflexions à propos des sans-papiers, de l’identité ou de Tintin au Tibet.


Rosset était un peu l’inverse de la Sorbonne et de l’anti-Sorbonne, l’inverse de Luc Ferry le ministre sinistre et l’inverse de Michel Onfray le pirate à la mode de Caen qui, du haut de ses pantoufles, a le « désir d’être un volcan » ; Rosset avait surtout le désir de déjeuner avec ses copains, et, parfois, de dégonfler une de ces grosses têtes qui confondent château de cartes et vérités incassables.


Rosset a adoré un film qu’il n’a jamais vu, Une fille pour l’été, il a beaucoup cherché ce qui pouvait faire l’essence du camembert et a essayé de démontrer pourquoi et comment la tragédie du Titanic était poilante… Quitte à passer pour un zouave, il ne cachait pas sa méfiance pour les penseurs qui partaient à la recherche de la vérité sans un peu d'humour ; cette petite chose qui est peut-être à la pensée ce que la brosse à dents est à l'haleine.


Je dirais que Loin de moi est son texte qui fait le plus de bulles, son meilleur champagne, que Route de nuit est son tord-boyaux, et Récit d’un noyé, sa drogue gentiment hallucinogène, mais chacun son Rosset. Les idées et les goûts sont des ballons de foot : on tape dedans, on se les passe et on change de buts souvent.

Mohammed_Dupondt
10

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le 21 mai 2018

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