Après avoir lu et apprécié deux ou trois bouquins de Bernard Minier, j'étais tombé de haut avec "Nuit", que j'avais trouvé lamentable.
Si bien que je ne savais pas à quoi m'attendre avec ce nouveau roman au titre étrange et assez naze. Verdict : "M, le bord de l'abîme" s'avère clairement mieux que "Nuit", mais demeure assez quelconque.
En fait, on est face à un polar-thriller lambda (avec le serial killer "habituel"), qui bénéficie heureusement d'une double valeur ajoutée.
D'abord son décor singulier : la ville de Hong Kong, dont Minier propose une vision très sombre, entre sa densité de population étouffante, ses buildings écrasants, ses triades impitoyables, son élite sociale méprisante, et ses citoyens de seconde zone parqués dans des bidonvilles (avec une évocation de la fameuse citadelle de Kowloon, invraisemblable assemblage architectural, anarchique et labyrinthique, finalement démolie en 1992).
L'autre plus-value réside dans la description des évolutions technologiques récentes (ainsi que celles à venir dans un futur proche), qui ont fait l'objet d'un gros travail de documentation de la part de l'auteur.
L'héroïne du roman, recrutée chez Facebook par un concurrent chinois des GAFA, est chargée de développer un assistant personnel intelligent (de type Cortana, Siri,...) de nouvelle génération, susceptible d'orienter les choix de l'utilisateur, voire de décider à la place.
L'occasion pour Minier, entre anticipation, réalité et fiction, d'imaginer les conséquences d'un tel outil tombé dans de mauvaises mains, et de projeter le lecteur dans la société anxiogène qui se profile à très court terme.
C'est aussi le prétexte pour souligner à nouveau les dangers (plus ou moins méconnus du grand public) des évolutions technologiques contemporaines autour de l'intelligence artificielle : suppression de la vie privée, restriction des libertés individuelles, contrôle des esprits.
Le propos n'est sans doute pas révolutionnaire, mais Minier se montre doué pour vulgariser ces thématiques, et pour matérialiser concrètement les risques qui nous guettent.
Dommage que le thriller grand public qui émerge derrière ces considérations scientifiques se révèle si anodin. Pas désagréable, mais sans relief, à l'image des principaux personnages du roman, et lesté de twists sans imagination.