L'antimodernisme de Maritain

Pourquoi la pensée politique de Jacques Maritain est-elle si peu connue ? Son engagement chrétien en a fait, selon sa propre expression, un « antimoderne », peu porté sur les vogues intellectuelles. Pour autant, sa réflexion sur les rapports entre Eglise et Etat le situe de plain pied avec une ère contemporaine hantée par la sécularisation ; de même on trouve au cœur de ses analyses la question de la morale et de l’action politiques, problème imposé par Machiavel à la modernité, et sur lequel le philosophe thomiste se défend de tout angélisme au nom de la notion de péché. Mais l’aspect peut-être le plus inattendu de cette pensée, telle que Paul Valadier la présente, provient de sa radicalité démocratique, qui conduit Maritain à dévaluer le concept très latin de souveraineté, et à promouvoir ce qu’au même moment Aron appelait « le mythe de la révolution ». Si cette dernière position peut surprendre au premier abord, elle est très cohérente avec une conception eschatologique de l’histoire. La vérité chrétienne, révélée par l’Incarnation, fonde en effet une temporalité nouvelle, linéaire et non circulaire, progressive et non répétitive, où une « rupture essentielle », une révolution, trouve naturellement sa place, car elle est consubstantielle à l’accomplissement de l’histoire. On retrouve ici le sens de l’antimodernisme de Maritain, qui inscrit sa critique dans les cadres proposés par la modernité pour en mieux préparer la sortie ; mais par l’avant, et non par un retour en arrière.